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dans la cour de la venta où je descendis fut don Jaime de Villalobos. Il se disposait à sortir quand je me présentai inopinément à ses yeux, et j’eus à peine le temps de mettre pied à terre qu’il me pressa dans ses bras à la mode du pays. De mon côté, je m’informai avec intérêt de ses aventures depuis notre séparation. J’appris qu’il était arrivé à Guanajuato à peu près quatre jours avant moi, et qu’il était au comble de ses voeux. Un prêtre que la parente de doña Luz avait gagné les avait mariés sans difficulté, et depuis ce temps la jeune femme, cachée dans un couvent à la grille duquel il pouvait la voir tous les jours, n’attendait que le moment où les mesures que prenait don Jaime leur permettraient de quitter le Mexique. Une seule circonstance cependant lui causait quelque inquiétude : il croyait avoir rencontré la veille dans les rues l’un des serviteurs qui accompagnaient le père de sa femme à la venta d’Arroyo-Zarco.

— Mais comme je crois voir partout, me dit-il gaiement, des figures de traîtres et d’espions, il est plus que probable que je me suis trompé et qu’on me cherche encore bien loin de l’endroit où je suis aujourd’hui. Et vous, ajouta-t-il, avez-vous mis enfin la main sur don Tomas Verdugo ?

— Non, repris-je, et je compte bien à présent lui rendre la pareille, car ce que j’ai appris sur son compte me donne autant d’envie de l’éviter que j’en ai eu jusqu’à présent de le joindre.

Et je racontai à don Jaime mon aventure dans le ravin avec Florencio Planillas. — Votre manteau, ajoutai-je, a failli me jouer un mauvais tour, car il est semblable, à ce qu’il paraît, à celui que porte le dénonciateur de Florencio, Remigio Vasquez.

À ce nom, don Jaime devint pâle et s’écria :

— Quoi ! c’est Remigio Vasquez qu’on a voulu tuer dans votre personne ! c’est lui qu’on accuse d’une dénonciation à laquelle il est si loin d’avoir pensé ! Ah ! mes pressentimens ne m’ont pas trompé.

— Pourquoi ?

— Remigio Vasquez est le nom que je porte ici.

Cette révélation inattendue me fit tressaillir à mon tour. Quelques heures avaient suffi pour exciter contre don Jaime un homme qui ne l’avait jamais vu, et peut-être, en ce moment même, la vengeance d’un père irrité avait-elle été remise entre des mains plus redoutables, entre celles du bravo. Cependant je ne dévoilai pas entièrement ma pensée au Biscayen, je l’engageai seulement à ne pas sortir de quelques jours, s’il était possible ; mais le gentilhomme espagnol avait repris tout son sang-froid.

— Non, me dit-il, Luzecita m’attend au couvent ; tromper son attente, ce serait la plonger dans une cruelle inquiétude. D’ailleurs, nul ne peut échapper à son destin.