Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1066

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

froid que la toiture à jour laissait pénétrer, et je pris congé de lui au matin en le remerciant sérieusement d’une hospitalité qui s’était réduite pour lui à manger les trois quarts de mon souper et à profiter de la moitié de mon manteau. Il est vrai que, quelques heures auparavant, le drôle avait failli me tuer.

Je repris ma marche interrompue la veille dans la direction du Cerro del Gigante. Armé de ma lance dont la banderole déchirée témoignait du danger que j’avais couru, escorté de Cecilio et affublé de la guitare du gentilhomme biscayen, j’avais un faux air du chevalier errant de la Manche suivi de son écuyer et en quête de quelque aventure périlleuse. Celle-ci ne laissait pas d’être délicate, car, je le savais maintenant à n’en point douter, c’était sur les traces d’un bravo mexicain que je courais inutilement depuis six jours. Cependant ma recherche avait de fait un but de sécurité personnelle. J’étais bien convaincu de n’avoir rien à démêler avec ce don Tomas ; mais il pouvait y avoir sous jeu quelque dangereuse méprise. Les bravi du Mexique, comme ceux de tous les pays où l’on exploite encore cette formidable industrie, commencent d’abord par tuer, quittes à reconnaître plus tard leur erreur ou à se faire payer double besogne. Il était donc important de constater bien clairement mon identité aux yeux d’un drôle de cette trempe, et de prévenir tout fatal quiproquo. Décidé par cette considération surtout, je me dirigeai assez résolûment vers le Cerro del Gigante, et j’arrivai bientôt à une maison d’assez belle apparence, située au pied de la montagne. Un ruisseau ombragé de sycomores coulait en murmurant près de la porte. Mon hôte de la nuit précédente m’avait trop minutieusement décrit la demeure du bravo pour que je pusse la méconnaître. Je m’adressai à un domestique qui étrillait à l’entrée de la cour un cheval d’une rare beauté, et m’informai avec toute la politesse convenable si le cavalier Verduzco était visible.

— Non, seigneur, me répondit l’homme. A peine arrivé hier soir, il a été mandé à Guanajuato pour une affaire d’urgence qui ne lui permettra guère de revenir que dans trois jours, et peut-être même sera-t-il obligé de repartir tout de suite.

— Et pour quel endroit ? demandai-je.

— Je n’en sais rien, répondit le domestique d’un ton sec.

Je n’insistai pas davantage, et je tournai bride.


V.

De retour à la ville, je m’informai de la plus modeste des trois ou quatre hôtelleries qui existent à Guanajuato, bien convaincu que c’était celle-là que devait avoir choisie de préférence le Biscayen à son arrivée. Mon espoir ne fut pas trompé, et la première personne que je rencontrai