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promettait de plus grands avantages encore dans l’avenir. C’était un de ces cas où les Mexicains ont l’habitude d’en appeler au couteau, et Florencio avait juré la mort de Remigio Vasquez.

— Je ne l’ai jamais vu, ajouta-t-il en finissant ; mais son signalement m’a été donné d’une manière si exacte, qu’il ne m’échappera pas. Je l’avais cherché inutilement tout le jour à Guanajuato, quand ce soir, à mon retour, trompé par l’obscurité, abusé par une vague ressemblance et surtout par la couleur de votre manteau, j’ai pensé que c’était lui qui poussait l’audace jusqu’à venir explorer les lieux, et ce n’est qu’en vous voyant de plus près que j’ai reconnu mon erreur. Je ne vous en veux pas, je vous le répète, de vous avoir manqué ; mais désormais je me servirai de mon couteau. El cuchillo ne suena ni truena (le couteau ne fait ni bruit ni explosion), comme dit mon ami Tomas Verduzco.

— Verdugo ! voulez-vous dire, interrompis-je.

— Vous le connaissez ? s’écria Florencio en riant. La plaisanterie est excellente ; mais vous ne l’employez pas avec lui, je pense.

— Quelle plaisanterie ?

Hombre ! ne savez-vous pas que son nom véritable est Verduzco, et qu’on ne l’appelle Verdugo[1] que parce qu’il lui arrive parfois de se faire justice lui-même dans ce qu’il appelle ses affaires de conscience ?

Cette particularité sur le caractère de l’homme que je poursuivais si opiniâtrement me fut des plus désagréables, je l’avoue ; mais j’étais bien aise d’avoir sur son compte de plus amples détails, et je m’informai près de mon hôte du nombre de fois qu’il était arrivé à don Tomas de mériter son redoutable surnom.

— Ma foi, répondit Florencio, ce sont de ces choses dont on n’aime pas toujours à tenir compte très exact, peut-être ne le sait-il pas lui-même ; mais vous jugeriez peut-être mal don Tomas d’après ce que je vous dis là. Le seigneur Verduzco n’est pas égoïste ; ce n’est pas toujours pour son propre compte qu’il tue son prochain, et, pourvu qu’on lui donne des raisons solides (le mineur appuya sur ce mot), on le trouve toujours prêt à rendre service : il me le disait encore ici ce matin même.

— Diable ! m’écriai-je, c’est un homme fort estimable que don Tomas, et je suis très impatient de faire sa connaissance.

En dépit de cette gasconnade effrontée, mon vif désir de rejoindre don Tomas s’était dissipé comme par magie, et, trop avancé pour reculer désormais, je formai les vœux les plus sincères pour le manquer encore une fois, ne fût-ce que d’une minute, au Cerro del Gigante. La nuit s’acheva sans autre incident que la nécessité où je me trouvai de prêter à mon hôte un pan de ma manga pour le mettre à l’abri du

  1. Verdugo, bourreau, et par extension un poignard affilé.