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— Non. Je n’ai fait que les arranger sur un air de ma composition pour des circonstances qu’il serait trop long de vous raconter.

Il y avait dans ces réponses des réticences qui donnaient l’essor à mes conjectures. Je résolus donc de provoquer les confidences du jeune Espagnol en lui racontant l’objet de mon voyage et mes déceptions depuis mon départ de Mexico.

— Il y a quelque similitude dans nos positions, reprit-il, quand j’eus fini. Comme vous, je poursuis une œuvre sans nom, mais plaise à Dieu de vous épargner les épreuves que j’ai traversées !

— Parlez, lui dis-je, j’aime les récits sous la voûte du ciel, la nuit, aux lueurs d’un foyer comme celui-ci.

— Soit, dit l’Espagnol. Je commencerai par vous dire que je suis Biscayen et de plus gentilhomme, non par le privilège qui anoblit tous mes compatriotes, mais par la descendance d’une longue suite d’aïeux qui reconnaissaient Lope Chouria (le loup blanc) comme chef de leur antique race. Mon nom est don Jaime de Villalobos. Ici, j’en porte un autre pour ne pas profaner celui-là. Ma mère d’abord, le nom de mes pères après, mon pays ensuite, tel est l’ordre de mes affections et de mon culte. Vous savez désormais qui je suis, seigneur cavalier ; je vais vous dire maintenant ce que j’ai fait.

Il y avait dans cet exorde une certaine arrogance de Cid Campeador qui ne me déplut pas ; c’était comme une strophe inédite ajoutée au Romancero, dont le gentilhomme biscayen chantait les vers un instant auparavant. Le jeune cavalier reprit avec plus de simplicité

— J’étais par malheur aussi pauvre que noble ; plus d’une fois, dans mon enfance, j’ai été réveillé par le vent glacé qui pénétrait presque sans obstacle dans le manoir ruiné que j’habitais avec ma mère ; comme compensation, Dieu m’envoyait la faim, qui me faisait oublier le froid. J’atteignis ainsi la jeunesse ; ma naissance m’interdisait tout travail manuel, tout emploi subalterne, et quitter ma mère qui vieillissait, pour prendre du service dans l’armée, était un effort au-dessus de mes forces. Cependant je ne pus rester étranger à la guerre civile qui éclata dans les provinces basques. Don Carlos, vous le savez peut-être, oubliait souvent de payer ses soldats et ses officiers, et tout ce que je gagnai à le servir fut l’honneur d’être encore, à l’heure qu’il est, créancier de son altesse. A ma rentrée sous le toit maternel, j’eus la douleur de le trouver plus délabré que jamais, et de comprendre mieux encore les angoisses qui déchiraient le cœur de ma mère, car je la voyais ployer de jour en jour sous le double fardeau de l’âge et de la détresse. Un soir, un colporteur vint réclamer de nous l’hospitalité, et, comme il ne demandait qu’un abri, je pus le satisfaire à moitié. Sa vie errante le mettait au courant de toutes les nouvelles, et j’appris de lui qu’un de nos compatriotes avait fait un riche mariage dans la Nouvelle-Espagne.

— Quelle chance n’aurait pas, ajouta-t-il, un jeune gentilhomme