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— Ces deux voyageurs ont sûrement le diable au corps, me dit tristement Cecilio, et ce doivent être deux grands criminels, pour avoir intérêt à ne s’arrêter ainsi nulle part.

Sans répondre aux doléances de mon domestique, je continuais à marcher, car je ne voulais pas avoir le dessous dans cette lutte de vitesse, et une espèce de fureur commençait à me stimuler plus encore que la curiosité. Pour la seconde fois depuis notre départ de Mexico, le soleil allait se coucher derrière les montagnes vis-à-vis de nous, sans que rien pût me faire pressentir que la promenade de la veille, inopinément convertie en voyage, dût bientôt avoir un terme. Nos chevaux, surmenés depuis vingt heures, commençaient à se fatiguer, et ce fut avec une vive satisfaction que j’aperçus, aux dernières lueurs du jour, le bâtiment rouge de l’hacienda d’Arroyo-Zarco.


II.

L’hacienda d’Arroyo-Zarco est un bâtiment imposant et vaste, construit moitié en briques, moitié en pierres de taille, et situé presque à l’entrée des vastes et fertiles plaines du Bajio. Cependant l’endroit où s’élève l’hacienda est loin de présenter l’aspect riant qui distingue le bassin qui porte ce nom. C’est une plaine infertile où se dressent çà et là quelques mornes pelés ; deux ou trois de ces mornes s’élèvent derrière Arroyo-Zarco ; une petite source d’une eau azurée, qui prend naissance à peu de distance de ces mornes, a donné à l’hacienda son nom d’Arroyo-Zarco (ruisseau bleu)[1]. Une large et longue cour carrée, ornée sur ses quatre faces d’arceaux de pierre semblables aux cloîtres d’un couvent, sert d’entrée aux bâtimens des maîtres ; les chambres destinées aux voyageurs s’ouvrent sous ces galeries. Plus loin, deux ou trois autres cours renferment des écuries assez spacieuses pour loger à l’aise tout un régiment de cavalerie en campagne. C’était le seul gîte à six lieues à la ronde, et je pouvais espérer enfin d’y rejoindre les deux voyageurs, si toutefois je n’avais pas suivi une fausse voie.

— Nous avons fait trente-deux lieues depuis hier, dit Cecilio en prenant avec un soupir la bride de mon cheval, et, si votre seigneurie doit continuer encore long-temps sa poursuite, peut-être serait-il prudent et convenable que je retournasse à Mexico pour dissiper les inquiétudes qu’on doit avoir sur notre compte.

— Le devoir d’un bon serviteur est d’accompagner son maître partout, répondis-je à Cecilio, et je me rendis près du garçon d’écurie pour l’interroger au sujet des voyageurs arrivés avant nous. J’appris

  1. Zarco ne peut littéralement se rendre que par le mot glauque, ou mieux encore par le vieux mot français pers.