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monde des vivans. Pour l’atteindre, il faut franchir cette montagne de l’ouest, et on ne peut le faire qu’avec assez de fatigue. Alors on arrive dans la vallée des Rois, gorge d’un aspect sévère, où rien ne rappelle la vie, et qui n’est habitée et habitable que par la mort. Là, dans le sein du roc, dans les profondeurs du sol calcaire, sont creusés des palais souterrains composés d’un grand nombre de chambres et formés quelquefois de plusieurs étages. Ces palais, dont tous les murs sont couverts d’hiéroglyphes et de peintures, et resplendissent aux flambeaux des couleurs les plus brillantes, ce sont les tombeaux des rois.

Pour arriver dans cette vallée funèbre, on passe auprès d’un groupe de ruines qui, par diverses raisons, offre un assez grand intérêt et sur lequel je reviendrai. Ce lieu s’appelle El Assasif. Je me bornerai à signaler maintenant une belle porte de granit élevée par la reine Ra-ma-ka, cette sœur des Thoutmosis, dont nous avons déjà lu le nom sur un obélisque de Karnac. Ici, Thoutmosis III a effacé le nom de sa sœur et lui a substitué le sien ; seulement, il a laissé subsister la terminaison féminine de tous les mots qui, dans la suite de l’inscription, se rapportent au nom effacé. Pendant long-temps cette usurpation n’a pu être reconnue ; mais Champollion étant venu indiquer, dans sa grammaire, quel était dans l’écriture hiéroglyphique le signe du féminin, on a pu rendre à la reine Ra-ma-ka son monument, tandis que l’incomplète mutilation opérée ici et ailleurs par Thoutmosis III, son frère et son époux, indique entre eux des luttes politiques dont la guerre de leurs cartouches a seule conservé l’histoire.

Près de l’Assasif est un tombeau creusé dans la montagne et qui a trois étages. Il est plus vaste qu’aucun des tombeaux des rois. Cependant ce n’est pas le tombeau d’un roi, mais seulement celui d’un prêtre nommé Pétemenof. Les sculptures et les hiéroglyphes qui couvrent les murs des galeries et des chambres sont d’une grande perfection. On voit là ce qu’étaient à Thèbes certaines existences sacerdotales. L’étendue occupée par la demeure funèbre de ce Pétemenof est évaluée par Wilkinson à plus de 20,000 pieds carrés ou à une acre un quart. Contre l’ordinaire, on n’y voit point figurer les membres de sa famille ; je n’y ai trouvé que le nom de sa mère ; il était donc à peu près seul dans son grand tombeau. Jamais créature humaine n’a occupé plus d’espace après sa mort que ce prêtre de Thèbes. — On voit qu’Hérodote a eu raison de dire que les Égyptiens ne cherchaient point à donner de la durée à leurs maisons, parce que la vie est passagère, mais à leurs tombeaux, parce que la mort est éternelle. On n’a pas trouvé dans Thèbes les traces d’une maison, et on y trouve les tombeaux par milliers.

Dans un second séjour j’étudierai en détail les tombes des particuliers, si intéressantes pour mes recherches sur l’organisation de la famille et sur l’hérédité des professions, et par suite sur la séparation absolue