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Ayant l’avantage de parcourir les ruines de Médinet-Habou avec M. Lepsius, nous étions sûrs qu’aucun détail de leur structure ne nous échapperait. Il nous a indiqué plusieurs remaniemens et surcharges opérés sur des noms anciens par des personnages plus modernes ; ce sont des révélations de l’histoire. La plus curieuse remarque en ce genre est celle qu’il a faite de certains noms d’anciens rois qui ont été réparés sous les Ptolémées : les hiéroglyphes ainsi récrits ont un caractère beaucoup plus moderne que l’époque à laquelle appartient le roi dont ils retracent le nom. C’est une preuve singulière, et qui n’est pas unique, de la prétention qu’avaient les Ptolémées de continuer les Pharaons.

Au-dessus de cette confusion de ruines et de souvenirs s’élèvent et dominent à Médinet-Habou les édifices construits par ce descendant de Ramsès-le-Grand, cet autre Ramsès, qui fut grand aussi, qui fut aussi conquérant, et qu’on désigne sous le nom de Ramsès Meiamoun[1]. On trouve d’abord ce qu’on appelle le pavillon de ce prince. Ce petit palais, mieux qu’aucun autre en Égypte, nous donne l’idée de ce qu’était une résidence royale. Au dehors, des consoles soutenues par des cariatides lui donnent un air d’élégance inaccoutumé ; sur un mur est représenté un tableau d’intérieur, une scène de harem : on voit Meiamoun entouré de jeunes filles ou de jeunes femmes dans des attitudes gracieuses, mais chastes ; le roi joue avec l’une d’elles à une espèce de jeu dont les pièces participent de la nature des échecs par la figure et de la nature des dames par l’uniformité. Des objets semblables à ceux qui sont dessinés ici ont été trouvés dans les tombes ; on a trouvé aussi l’échiquier. Est-ce pour avoir vu ce jeu en Égypte que Platon a dit que les échecs avaient été inventés par le dieu Thot ?

En avançant vers le grand palais de Ramsès Meiamoun, on passe bientôt des proportions élégantes d’une maison de plaisance royale à la majesté d’un édifice de représentation solennelle ; à la demeure intime de l’homme succède la résidence publique du Pharaon. Un grand pylône, dont les bas-reliefs rappellent les campagnes du roi et dont les inscriptions contiennent les noms des peuples qu’il a vaincus, conduit dans une première cour bordée à gauche par une colonnade, à droite par une galerie que forment des piliers à figure humaine. Après avoir traversé cette première cour, où des chapiteaux imitant la fleur du lotus[2] semblent s’épanouir à la surface du sol amoncelé autour des colonnes enfouies à demi ; après avoir franchi un second pylône, on arrive à une seconde cour entourée d’un péristyle soutenu ici par

  1. Cette désignation n’est pas très fondée, car elle pourrait s’appliquer tout aussi bien à Ramsès II ou le Grand, qu’à Ramsès III ; mais l’usage l’a consacrée, et elle a l’avantage de distinguer nettement les deux Ramsès.
  2. Il n’est pas bien sûr que ce soit la fleur du lotus que les Égyptiens aient reproduite dans les chapiteaux de leurs colonnes. Il règne encore une grande incertitude dans la botanique architecturale et hiéroglyphique des anciens Égyptiens.