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Aménophis III, qui était de la famille des Thoutmosis, a élevé le palais méridional de Louksor. Dans ce palais, plusieurs tableaux sont consacrés à représenter l’histoire de la naissance et de l’éducation du roi Aménophis, aidées l’une et l’autre par l’assistance des dieux. Ces bas-reliefs offrent la beauté accomplie d’un âge que j’ai déjà dit être l’âge de la perfection de l’art égyptien. Au nord de ce monument d’Aménophis, une galerie de colonnes, achevée par ses successeurs, conduit à un autre édifice qui a été construit par le grand Ramsès. Ici on remarque la même différence de dimensions qui nous a frappé à Karnac. L’édifice du Pharaon conquérant de la dix-neuvième dynastie domine de sa majestueuse architecture l’architecture plus modeste du Pharaon de la dix-huitième. Le caractère de ces deux époques est empreint dans les deux monumens de Louksor, et mesuré, pour ainsi dire, par leur grandeur.

L’édifice de Ramsès se compose d’une grande cour entourée par un portique et qui couvre une superficie de deux mille cinq cents mètres. C’est en avant du pylône qui précède l’entrée de cette grande cour que Ramsès éleva les deux obélisques dont l’un est encore debout, et dont l’autre orne maintenant une de nos places publiques, où il produit un très bel effet ; il en produisait un beaucoup moindre à côté du pylône de Louksor, car il gagne à être isolé. Les Égyptiens ne l’avaient pas mis là pour l’amour du pittoresque ; cette masse de granit, qui pèse trois cent soixante milliers, était, je l’ai dit, un signe, une syllabe, un mot ; ce mot, qui voulait dire stable, devait être écrit près d’une porte ; c’était sa place dans la phrase ; pour nous, il est un ornement, et a cessé d’être un signe ; sans cela eussions-nous osé dresser le signe de la stabilité sur la place de la Révolution ?

Une seule considération pourrait faire regretter le déplacement de l’obélisque, c’est la pensée du dommage que notre climat lui a déjà causé. J’étais tout chagrin aujourd’hui en voyant son frère intact et resplendissant au soleil, et en me rappelant combien le nôtre s’éraillait et s’attristait dans nos brumes. Quoi qu’en dise le lieu commun, rien n’est plus périssable, on pourrait presque dire plus fragile, que le granit. Il se délite par l’action de l’humidité. J’ai vu, au bord de la Manche, du granit se résoudre en sable. Est-ce là la destinée qui attend l’obélisque de Ramsès, exilé là-bas dans cette sombre cité de l’Occident qu’on appelle Paris ?

Les deux jumeaux portent à peu près la même légende. Que de fois on m’a dit d’un air un peu goguenard : Pourriez-vous lire ce qui est écrit sur l’obélisque de la place Louis XV ? Oui, messieurs les incrédules, on peut lire et on a lu ce qui est écrit sur l’obélisque. Champollion avait écrit une analyse des inscriptions : c’est Rosellini qui nous l’apprend[1]. Or, Salvolini en ayant publié une traduction satisfaisante,

  1. Monuments storici, t. II, p. 2, p. 47, note.