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cette double file d’images mystérieuses et sacrées se prolongeant ainsi presque en ligne droite pendant une demi-lieue, et réunissant deux masses de palais telles que l’Europe n’en connaît point ! Des arbres, comme on en voit encore sur une partie du chemin, le bordaient sans doute. A l’ombre des palmiers, des acacias, des sycomores, les processions marchaient entre ces figures symboliques, qui, muettes et accroupies, les regardaient passer. Il faut se transporter, par l’imagination, dans un autre état de choses, pour retrouver la grandeur de cette singulière décoration, car, dans l’état où elles sont aujourd’hui, les fameuses avenues de sphinx préparent au voyageur un véritable désappointement. Les sphinx sont pour la plupart mutilés ou renversés. Ici, ce n’est pas ce que l’on voit, mais ce que l’on sait qui est grand.

J’ai déjà dit que le sphinx était l’hiéroglyphe de la puissance. Cet hiéroglyphe voulait dire seigneur. Quand le sphinx avait une tête d’homme, on l’employait pour désigner la royauté ; quand il avait une tête de bélier, la tête d’Ammon, le grand dieu égyptien, il exprimait la puissance divine. Dans le voisinage de Karnac, les sphinx sont, remplacés par des béliers portant sur la poitrine une image de Thoutmosis III figuré en Osiris infernal, c’est-à-dire rappelé par la mort au sein d’Ammon. C’est ainsi dit moins que je lis cette phrase de pierre.

En suivant l’avenue de sphinx, puis en traversant une plage de sable, nous avons gagné notre barque, qui nous avait déposés à la hauteur de Karnac, et avait remonté le fleuve jusqu’aux ruines de Louksor. Nous les visiterons demain.


22 janvier.

Louksor est un village arabe qui, comme Karnac, a donné son nom obscur à des débris célèbres ; mais, tandis que les Arabes de Karnac ont eu le bon esprit de bâtir leurs huttes à côté des monumens, ceux de Louksor ont eu l’idée funeste de se loger parmi les ruines mêmes, de sorte que, pour visiter ces ruines, il faut entrer dans une vingtaine d’intérieurs misérables où de pauvres familles de fellahs dorment, mangent, travaillent ; les enfans se précipitent sur l’étranger en lui demandant l’aumône, les femmes se voilent, s’enfuient ou se détournent en présence des infidèles. Ces ménages et ce vacarme gâtent un peu les ruines, et toute cette cohue sale et babillarde trouble désagréablement le silence et la majesté des siècles. Louksor, ce qui veut dire en arabe les palais, est, comme Karnac, un assemblage de monumens de différens siècles ; seulement cet assemblage est moins considérable, et la chronologie en est plus simple. Tout se rapporte aux deux époques entre lesquelles se partagent aussi les principaux monumens de Karnac. La partie la plus ancienne est l’œuvre d’Aménophis III, celui que les Grecs ont appelé Memnon, et dont le double colosse s’élève sur l’autre rive du fleuve.