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dans mille attitudes désespérées. Le roi, le char, les coursiers, tout est gigantesque par rapport aux ennemis de l’Égypte. Le poitrail des chevaux lancés au galop domine la forteresse et couvre l’armée tout entière des vaincus. Plus loin, le vaillant Pharaon est aux prises avec un chef ennemi qu’il tient à la gorge et va percer ; son pied écrase un adversaire qu’il vient d’immoler. Le mouvement qui exprime cette double action est sublime. Ailleurs on voit Séthos traîner après lui les peuples soumis par ses armes, et, ce qui est plus extraordinaire, emporter plusieurs chefs sous son bras, ainsi qu’on emporterait un enfant mutin. Puis les vaincus font acte de soumission, ils abattent les forêts de leur pays comme pour l’ouvrir devant les pas du vainqueur. Le roi revient en triomphe dans ses états, où il reçoit les hommages de ses peuples, et où les grands et, ce qui est à remarquer, les prêtres, inclinés devant lui et représentés avec une stature très inférieure à la sienne, offrent en toute humilité leurs respects au Pharaon victorieux[1].

C’est sur une muraille de Karnac que Champollion a découvert ce fait si curieux qui est tout à la fois une preuve de la lecture des hiéroglyphes et un indice des lumières que cette lecture peut fournir à l’histoire. Sur le mur méridional de la grande salle de Karnac est représenté le roi égyptien Sésonch traînant aux pieds de ses dieux un grand nombre de figures humaines ; toutes portent écrit sur la poitrine le nom des peuples et des pays dont elles sont des personnifications. Champollion a lu très distinctement, et tout le monde peut, comme je l’ai fait, lire après lui sur la poitrine de l’une de ces figures, Ioudh malk, ce qui veut dire en hébreu royaume de Juda[2]. On ne doit pas s’étonner de voir un mot étranger écrit en caractères hiéroglyphiques, c’est-à-dire en lettres égyptiennes. Nous en faisons autant quand nous écrivons en lettres françaises le pachalik de Damas ou le beylik de Constantine.

Or, le Livre des Rois nous apprend que le roi égyptien Sésac, dans lequel il est impossible de ne pas reconnaître le roi Sésonch de Karnac, a pris Jérusalem et a emmené captif le roi Roboam, et voilà qu’on découvre le royaume de Juda parmi les pays dont Sésonch a triomphé. Pouvait-on trouver une concordance plus frappante entre le Livre des Rois, les monumens égyptiens, et les listes de Manéthon, qui placent ici

  1. Les exploits de Ramsès-le-Grand, fils de Séthos, sont également figurés à Karnac sur un mur. Champollion avait cru retrouver là écrit en hiéroglyphes magnifiques ce qu’il avait vu écrit en caractères cursifs sur un papyrus appartenant alors à M. Sallier. Ce papyrus, dont Salvolini a traduit quelques lignes, traduction qu’il a publiée sous le titre un peu fastueux de Campagnes de Ramsès-le-Grand, ce papyrus, maintenant à Londres, paraît se rapporter à une expédition différente de celle qui est sculptée sur le mur de Karnac.
  2. Ou plutôt Juda royaume. Malk est la traduction phonétique du signe pays, qui suit toujours les noms de peuples, et qui est ici après malk. Les Égyptiens avaient l’habitude d’écrire un mot en toutes lettres à côté de la figure ou du symbole qui exprimait un objet ou une idée.