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pieds de diamètre, couvertes de bas-reliefs et d’hiéroglyphes ; les chapiteaux ont soixante-cinq pieds de circonférence ; la salle a trois cent dix-neuf pieds de long, presque autant que Saint-Pierre, et plus de cent cinquante pieds de large. Il est à peine besoin de dire que ni le temps, ni les deux races de conquérans qui ont ravagé l’Égypte, les pasteurs, peuple barbare, et les Perses, peuple fanatique, n’ont ébranlé cette impérissable architecture. Elle est exactement ce qu’elle était il y a trois mille ans, à l’époque florissante des Ramsès. Les forces destructives de la nature ont échoué ici contre l’œuvre de l’homme. Le tremblement de terre qui a renversé les douze colonnes de la cour que je viens de traverser a fait, je l’ai dit, crouler ce massif du grand pylône, qui me rappelait tout à l’heure une chute de montagne ; mais les cent trente-quatre colonnes de la grande salle que je contemple maintenant n’ont pas chancelé. Le pylône, en tombant, a entraîné les trois colonnes les plus voisines de lui ; la quatrième a tenu bon et résiste encore aujourd’hui à ce poids immense de débris.

Cette salle était entièrement couverte, on voit encore une des fenêtres qui l’éclairaient[1]. Ce n’était point un temple, mais un vaste lieu de réunion destiné sans doute à ces assemblées solennelles qu’on appelait des panégyries. L’hiéroglyphe dont ce mot grec semble être une traduction[2] se compose d’un signe qui veut dire tout et d’un toit supporté par des colonnes semblables à celles qui m’entourent. Ce monument forme donc comme un immense hiéroglyphe au sein duquel je suis perdu.

La grande salle de Karnac a été achevée par Ramsès Sésostris, mais elle avait été construite presque entièrement par son père Séthos[3], dont les exploits sont représentés sur les mur de l’édifice. Ces tableaux forment littéralement une épopée en bas-reliefs dont le héros est le Pharaon Séthos, une séthéide sculptée et vivante. Qu’on ne s’étonne pas de cette expression : ces peintures sont tellement homériques, que M. Wilkinson a pu penser qu’Homère les avait vues dans un voyage en Égypte et s’en était inspiré pour peindre les combats de l’Iliade. Chaque compartiment est comme un chant distinct. Ici on voit Séthos, debout sur un char, percer de ses flèches ses ennemis, qui tombent en foule

  1. Je ne sais si cette fenêtre avait des vitres ; on conçoit qu’elles n’ont pu durer comme les colonnes. Ce qui est certain, c’est que les Égyptiens ont connu de bonne heure l’usage du verre. On voit des verriers à l’œuvre sur de très anciens monumens, et on trouve des verroteries émaillées dans des tombeaux aussi fort anciens. Plus tard, Alexandrie fut célèbre par ses verreries, et c’est à Alexandrie que pour la première fois dans l’antiquité il est fait mention des vitres par Philon sous Caligula.
  2. En grec πανέγυρις, de πάν, tout, et αρορά, lieu de réunion ; dans le langage hiéroglyphique, le signe tout et une salle d’assemblée.
  3. C’est celui que Champollion appelle Ménéphta ler. Les travaux les plus récens ramènent à lui donner un nom que M. Lenormant le premier avait réclamé pour ce Pharaon.