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frivole ; enfin, malgré une guerre ruineuse, le roi se trouvait possesseur d’un trésor considérable, maître absolu dans ses états, et redouté par tous ses voisins.


VI.

En rapportant les derniers événemens de la guerre civile en Castille, Ayala, dont j’hésite toujours à soupçonner la bonne foi, impute à don Pèdre le projet d’une trahison dont il n’allègue aucune preuve et qui paraît trop improbable pour être imputée au roi sur un seul témoignage, quelque gravité qu’on lui accorde. Pendant le siège de Palenzuela, dit le chroniqueur, don Pèdre vit réunis dans son camp les deux infans d’Aragon, don Fadrique et don Juan de la Cerda, naguère les chefs des ligueurs. Il avait résolu de s’en défaire, mais, pour rendre sa vengeance plus complète, il voulait encore une autre victime. Déjà don Tello avait envoyé sa soumission, et Juan de Avendaño, son principal conseiller, et l’homme le plus influent en Biscaïe, gagné par l’or du roi, promettait de déterminer le jeune prince à venir en personne chercher le pardon de sa longue désobéissance. Le roi, s’ouvrant alors à Juan de Hinestrosa, lui demanda de le conseiller sur la manière la plus sûre de faire périr tous ses ennemis à la fois. En loyal chevalier qu’il était, Hinestrosa eut horreur de cette perfidie, mais il connaissait trop son maître pour s’opposer ouvertement à sa vengeance. En outre, il avait ses desseins particuliers, et tenait surtout à sauver deux braves écuyers qui se défendaient dans Palenzuela en hommes qui ont déjà fait le sacrifice de leur vie. — « Sire, dit Hinestrosa, faites merci pour le moment aux gens qui tiennent la ville. L’important pour vous, c’est d’y entrer au plus tôt. Une fois que nous en serons maîtres, donnez-moi le donjon à garder. Là, je feindrai, d’être malade. Vous viendrez me voir, et mènerez avec vous ces seigneurs vos ennemis, sous couleur de jouer aux dés dans mon appartement. Entrés dans le donjon avec petite compagnie, ils ne pourront vous échapper. » Ce plan fut fort goûté par le roi, mais il manqua par la prudence de don Tello, qu’on ne put décider à quitter la Biscaïe. « Le roi en fut marri, » ajoute Ayala, que je continue à copier, « et dans la suite il conta devant ses familiers comment, par telles pratiques, il cuida cette fois affiner et faire mourir à la fois cinq, ses plus irréconciliables ennemis[1]. »

Remarquons d’abord combien il y a peu d’apparence que, pour faire donner quartier à deux gentilshommes obscurs, Hinestrosa fut obligé de consentir ou de paraître consentir à un attentat si odieux. En outre, est-il vraisemblable qu’au moment où, de l’aveu du roi, il venait de

  1. Ayala, p. 211.