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de Leyde. Une surveillance continuelle, des arrestations fréquentes, témoignent assez de la défiance du gouvernement vis-à-vis de ce foyer presque souterrain dont il ne peut jamais bien sonder les profondeurs :

C’est le même mal en Silésie, produit par les mêmes causes, augmenté dernièrement encore par la funeste atteinte que le commerce de Breslau reçut au moment où Cracovie dut entrer dans le système des douanes autrichiennes. Les tisserands du Riesengebirge ont connu des privations peut-être plus rudes que ceux de la Westphalie, parce qu’il s’est fait une révolution plus sensible dans le mouvement commercial de leur province. L’interruption des rapports de la Prusse avec l’Espagne a notamment enlevé un débouché ancien et considérable aux toiles de la Silésie[1] ; on a souffert partout de cette stagnation, mais nulle part aussi cruellement qu’en bas. Ces sombres mécontentemens se sont encore exaltés par un singulier mélange d’effervescence religieuse propre à toute cette contrée. Les prédications de Ronge sont tombées sur un sol mieux préparé pour les recevoir que ne l’était le champ où labourait Czerski. Autrefois sœur de la Bohême, déchirée comme elle par les guerres hussites, la Silésie, malgré l’invasion du sang allemand et le ferme établissement du catholicisme, a toujours eu quelque secrète inclination pour les conciliabules mystiques ; orthodoxes ou non : l’Autriche s’inquiétait, il n’y a pas encore long-temps, des confréries du rosaire qui circulaient dans son voisinage entre la ville prussienne de Ratibor et les villes impériales de Teschen et de Tropau.

Cette sourde agitation des classes inférieures se relie depuis quelques années au mouvement plus régulier des bourgeoisies. La vie municipale s’est ranimée subitement en Silésie avec une passion des plus vives ; les assemblées de commune ont été assidûment suivies ; on a fondé des sociétés privées, publié, répandu des journaux. Breslau a donné l’exemple d’une opposition presque constante en face du gouvernement, et cette opposition a trouvé des organes énergiques pour les envoyer à la diète. Lorsqu’après la clôture des états le roi voulut se reposer de ses tracas parlementaires en inaugurant la statue du grand Frédéric à Breslau, le magistrat de la cité vint lui débiter une seconde édition du fameux discours de M. de Raumer[2], et, comme il pleuvait fort

  1. Les toiles de Silésie étaient envoyées non-seulement en Espagne, mais dans toutes les colonies espagnoles. Elles portent encore aujourd’hui des étiquettes et des marques qui rappellent leur destination primitive : Creas, Platilles, Bretagne, Listados Estopillas, etc. L’exportation avait atteint de 1780 à 1790 le chiffre de 15 millions de thalers ; il allait encore avant 1805 à 12 millions et demi.
  2. Tout le monde a su cet incident caractéristique qui a pris au commencement de l’année une place si fâcheuse dans les délibérations de l’académie des sciences de Berlin. M. de Raumer, secrétaire perpétuel de l’académie, avait prononcé devant le roi et en séance solennelle l’éloge accoutumé de Frédéric-le-Grand ; il avait fait de son discours une vive attaque contre les piétistes, contempteurs trop encouragés de cette glorieuse mémoire. Le roi exprima son mécontentement, provoqué par des allusions peut-être un peu transparentes. L’académie lui adressa des excuses en un langage si humble, que ce fut un étonnement universel de voir les plus beaux noms scientifiques de l’Allemagne au bas d’une pièce si déshonorante. La meilleure défense qu’aient trouvée les signataires pour se couvrir de la colère soulevée dans le public par cet abaissement auquel ils étaient descendus, ç’a été la nécessité d’observer en pareille rencontre les formes voulues de l’étiquette allemande. Tant pis pour l’étiquette.