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gîte qu’il s’était arrangé parmi les hautes fougères du taillis, vit venir Miélette, qui arrivait du Bourgneuf haletant et agité.

— Sors de là, gas mentoux ! cria-t-il à Jean ; c’est aujourd’hui qu’il faut brûler toute ta poudre.

— Qu’y a-t-il ? demanda Cottereau.

— M. de Talmont est arrêté.

Jean s’élança d’un bond vers Miélette.

— Arrêté ! s’écria-t-il. Dans quel endroit ? Qui te l’a dit ? Où l’a-t-on mené ?

— On l’a arrêté à Bazouges, c’est Branche-d’Or qui m’a averti, et on croit qu’il a été conduit à Ernée.

— Prête-moi ton fusil, dit rapidement Jean en remplissant ses poches de cartouches.

— Que veux-tu faire ?

— Je pars pour Ernée.

— Mais les républicains y sont !

— Tant mieux ! Je saurai au juste ce qu’ils ont fait du prince.

— Tu seras pris !

Y a pas de danger !

Miélette savait par expérience que c’était toujours la dernière raison du gas mentoux. Il le laissa partir en maugréant tout bas de ne lui avoir pas mieux ménagé la nouvelle. Jean fut deux jours sans reparaître. Déjà on le croyait pris ou tué, quand il arriva au bois de Misdon son fusil sous l’aisselle.

— Eh bien ? lui demanda Miélette.

— Eh bien ! répliqua Jean, ça ira, comme disent les patauds. M. de Talmont est à Rennes, mais on doit le juger à Laval, et il y a quelqu’un près du représentant Esnue Lavallée qui nous avertira du jour. C’est à nous de l’attendre au passage.

— Alors il faut avertir les autres !

— C’est fait. En revenant, j’ai vu Jambe-d’Argent, qui sera à Misdon ce soir avec sa bande, et les bons enfans du bataillon de la montagne[1] partiront d’Ernée pour nous rejoindre.

— Où cela ?

— Entre la Gravelle et Laval, au bois de l’Aulne. Je viens de reconnaître les lieux, et j’ai mon plan. Nous n’avons plus maintenant qu’à faire les morts pour que les bleus s’endorment, et qu’à attendre ici l’avertissement.

— A la bonne heure ; mais voici toujours une lettre qu’un mendiant a laissée pour toi à Lorière.

Jean prit le billet et le retourna de tous côtés.

  1. Formé de conscrits du Calvados, royalistes pour la plupart.