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François, droit, immobile et la dragonne d’un sabre passée au poignet. À cette vue, Jean pousse un cri ; il appelle son frère et Suson, dont un ravin marécageux le sépare. Le chant continue, le cavalier reste immobile, et la vision disparaît à travers les glaïeuls. Les chouans avaient senti leurs cheveux se dresser ; Jean lui-même était devenu pâle.

— J’ai pourtant bien reconnu François et la pauvre fille, dit-il en se retournant vers ses compagnons.

— A moins que ce ne soient leurs ames, répondit Miélette, qui tremblait.

— Des vivans nous auraient entendus, fit observer Va-de-bon-Coeur.

— Et ils ne chanteraient pas ainsi ! ajouta un chouan.

La voix continuait, en effet, à s’élever dans les ténèbres, toujours aussi vague et aussi plaintive ; elle semblait se diriger vers la cabane. Jean se raidit contre sa propre terreur, et rebroussa chemin vers le carrefour. Les deux fantômes y arrivèrent au même instant que les chouans. Jean appela de nouveau Suson et François.

— Nous voilà ! répondit cette fois la pauvre fille.

— Qui êtes-vous et que voulez-vous ? demanda Miélette, dont l’effroi entretenait le doute.

— Sauvez François ! répliqua Suson en tendant les bras.

Jean courut à son frère et voulut lui parler ; mais François avait les yeux hagards et les dents serrées ; il ne répondait pas. Quant à la pauvre fille, la douleur, la fatigue et l’épouvante avaient égaré sa raison. Cet air qu’elle répétait depuis Le Mans pour endormir la souffrance du mourant semblait avoir pris possession de tout son être ; elle continuait à le redire machinalement et sans pouvoir s’arrêter.

Jean lui demanda où était sa mère.

— Là-bas,… restée avec les autres,… répondit-elle dans son demi-délire… Les canons, les voitures et les attelages étaient au milieu de nous…

Le petit point du jour arrive,
Arrive, arrivera.


Alors la veuve a été renversée ; .. les bœufs ont fait passer la charrette sur son corps…

A la porte de sa mère,
Trois petits coups frappa.


Comme elle avait mal, elle a prié les gas de l’achever ; mais ils ont répondu que Dieu ne l’avait pas permis, et alors elle s’est résignée.

Si vous dormez, réveillez-vous ;
C’est votre amant qui parle à vous.

— Et François était là ? François n’a rien fait ? s’écria Jean, qui pleurait et tremblait de tout son corps.