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une rue, quelques-uns de ses compagnons s’arrêtèrent devant la maison de M. Moulins, président du tribunal qui les avait condamnés à mort ainsi que Jean Chouan, et crièrent qu’il fallait faire venir le juge. Mme Moulins se présenta en tremblant, et répondit que son mari n’y était pas.

— Ne craignez rien, madame, répondit Jean, ce sont ses criminels qui venaient pour lui offrir leur salut.

Mme Moulins l’engagea alors à descendre de cheval pour prendre quelques rafraîchissemens. Il répondit qu’il n’avait point le temps de s’arrêter et releva la bride de sa monture pour passer outre ; mais, entendant quelques-uns des chouans murmurer derrière lui des menaces contre le juge et sa famille, il se retourna d’un air riant vers la pauvre femme à demi morte d’effroi, et, pour prouver qu’il ne refusait ni par rancune, ni par mépris, il cueillit une grappe de raisin à la treille dont la porte était ombragée, et partit en remerciant son hôtesse de sa bonne réception. Cet acte de générosité antique, qui plaçait la maison du président sous la sauvegarde du chef qu’il avait condamné, fut compris des chouans ; tous suivirent le gas mentoux sans rien dire.

L’arrivée des royalistes manceaux excita de grands transports dans l’armée. La réputation de Jean Chouan avait passé la Loire. Les Vendéens admirèrent sa belle prestance, sa physionomie ouverte et son autorité sur les gens qui lui obéissaient d’amitié. Ses habits en lambeaux protestaient contre les accusations de pillage dont on avait voulu le flétrir ; il manquait même de la peau de chèvre que possède le plus pauvre paysan manceau. Le prince de Talmont lui fit présent de son manteau.

Une grande surprise attendait Jean à Laval. Son frère François, atteint à l’aisselle gauche d’une blessure sans remède, avait été forcé de se réfugier, depuis deux mois, à la closerie des Poiriers ; mais, en apprenant la marche des Vendéens, il avait pensé qu’il lui restait un bras il s’était levé, et il arrivait avec sa mère et Suson, qui n’avaient point voulu le quitter. On vit ce mourant, soutenu par deux femmes, dont l’une était déjà courbée par l’âge et dont l’autre paraissait une enfant, prendre sa place dans les rangs et défiler devant les chefs de l’armée catholique. Jean pleurait de fierté et de chagrin.

Le Maine avait fourni environ cinq mille combattans qui formèrent un corps à part, connu sous le nom de petite Vendée. Dès le surlendemain, ce corps était, avec le reste de l’armée, sur la lande de Croix-Bataille, où le général L’Échelle s’était avancé à la tête de vingt-cinq mille hommes.. La lutte fut terrible, mais resta incertaine jusqu’au soir. Jean Chouan s’adressa alors à M. Dehargues, et lui déclara qu’il connaissait un chemin par lequel on pouvait tourner l’ennemi. C’était, comme on l’a déjà vu, sa méthode. M. Dehargues consentit à le suivre. Il s’avança avec ses Manceaux, en rampant le long des broussailles, jusqu’à l’arrière