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dit qu’il voulait lui parler d’une lettre reçue à son sujet, Jean trouva à propos de croire qu’il avait été dénoncé et qu’on allait l’arrêter. En conséquence, il sauta du haut des remparts dans les fossés de la ville et prit la route de sa paroisse, ajoutant ainsi, par prudence, à la prévention de meurtre le crime de désertion.

Cette fois ses protecteurs effrayés ne trouvèrent pour lui d’asile sûr que dans la captivité et obtinrent une lettre de cachet en sa faveur. Deux ans de captivité transformèrent le gas mentoux. Les étroites nécessités de la prison avaient assoupli son humeur ; les habitudes vagabondes étaient perdues ; sa piété, jusqu’alors incertaine, s’était fortifiée dans la solitude ; le jeune garçon était devenu un homme. Lorsqu’il revint au pays, Mme Olivier lui confia la régie de ses biens, et la régularité de cette nouvelle position consolida la conversion commencée.

Ce fut alors que la révolution éclata.

Par ses croyances et par ses relations, Jean Chouan en était d’avance l’ennemi : il l’était encore plus par ses souvenirs personnels. Le roi dont on démolissait le trône n’était point pour lui un de ces maîtres inconnus que l’on vénère par tradition ; sa mère avait été reçue dans son palais, elle connaissait son visage, le son de sa voix, elle avait vu signer devant elle la grace de son fils, et, comme elle le répétait souvent avec une naïveté dont elle ne soupçonnait pas l’orgueil, il y avait désormais quelque chose entre les Bourbons et les Cottereau.

Jean le comprit ainsi, et s’associa ouvertement, dès le début, à toutes les espérances des royalistes ; mais les événemens ne laissèrent pas long-temps place aux illusions. Au milieu des entraves et des piéges tendus par les partis, la révolution accélérait toujours sa course comme la cavale de Mazeppa, indifférente au sang qu’elle laissait contre chaque obstacle, pourvu qu’elle le renversât. Des arrêts de mort frappèrent les émigrés ; les prêtres qui avaient refusé le serment à la nouvelle constitution furent déportés, et le roi devint le prisonnier de la nation. On se trouvait au 15 août 1792. Un ordre du directoire du district avait convoqué à Saint-Ouën-des-Toits tous les jeunes gens des paroisses voisines pour l’organisation des gardes nationales et les enrôlemens volontaires. La plupart étaient venus, mais la vue des gendarmes, des commissaires et surtout des registres les avait mal disposés, car l’habitude des procès a inspiré de tout temps au paysan manceau une sainte défiance de la plume et de l’écritoire. Quand il fallut donner les noms, on ne répondit que par des huées. Les gendarmes voulurent arrêter ceux qui criaient le plus haut : des moqueries on passa aux injures et des injures aux menaces. On allait en venir aux coups lorsque Jean Chouan, qui avait tout observé et tout conduit, s’élança en criant :

— Pas de garde nationale ! pas de volontaires !

Ce cri fut répété par toutes les voix.