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cité de son opposition ne s’arrangeait guère de la subordination où sa place le retenait vis-à-vis du ministre de l’intérieur, M. de Bodelschwing, son parent et son adversaire de préférence. M. de Vincke, entouré maintenant d’une popularité singulière, se prépare sans doute à de plus hautes destinées ; le mot reçu à propos de cette physionomie trop originale pour qu’il faille lui chercher des ressemblances, c’est que M. de Vincke doit être le Mirabeau de la nouvelle monarchie.

Vienne donc cette nouvelle monarchie prussienne, et à la façon dont on en discute maintenant la possibilité, même dans les régions officielles, on s’aperçoit bien en effet que, si son temps n’est peut-être pas très proche, il est du moins inévitable. La Gazette d’état de Berlin engageait dernièrement sur ces délicats problèmes une polémique très curieuse avec la Gazette allemande. Publiée à Heidelberg par M. Gervinus, aidé de quelques jeunes et brillans collègues qu’il a dans l’université, la Gazette allemande prêche le constitutionnalisme avec des formes un peu doctrinales, mais avec une grande autorité. Tout en critiquant les tendances trop françaises du journal badois, son penchant pour le dogme du gouvernement des majorités, pour celui de la responsabilité ministérielle, la Gazette prussienne se plaçait cependant sur un terrain bien autrement libéral que celui où se maintiennent les vrais absolutistes ; elle repoussait l’absolutisme en lui-même, les vieux droits, le vieux régime ; elle demandait seulement qu’on en gardât la sève nationale, le fond allemand et primitif. S’il y a quelque sentiment sérieux derrière ce suprême retranchement, c’est un sentiment injuste contre lequel nous sommes bien aises de nous élever.

Jadis, en effet, les puissances allemandes, confondant exprès la révolution et le progrès, le mouvement et l’anarchie, s’attachaient à dégoûter leurs peuples des biens de la liberté en les effrayant des horreurs du désordre ; c’était ainsi qu’on formait, qu’on nourrissait les préjugés de l’Allemagne contre la France, et l’on avait par là un moyen de plus pour raviver toujours les rancunes de 1807, dont on tirait si bon parti. Aujourd’hui que l’Allemagne commence à découvrir par sa propre expérience que l’ordre et la liberté ne sont point inconciliables, on voudrait encore l’armer contre nous non plus en lui faisant peur d’institutions qu’elle va bientôt partager, mais en éveillant à leur sujet cet amour-propre d’auteur que tout Allemand porte en soi, en insinuant à plaisir aux vanités nationales la prétention puérile de tout créer sans l’aide de personne et surtout sans l’aide de la France. Le premier progrès qui prouvera l’avancement de l’Allemagne dans sa nouvelle carrière, ce sera quand on la verra débarrassée de cette envie secrète qui la tourmente à notre endroit. Elle s’en défend pourtant avec amertume et nous demande d’un air triomphant ce qu’elle pourrait à présent nous envier. A quoi nous répondrons qu’elle se réjouit trop malignement de nos torts ou de nos fautes pour n’avoir pas l’air d’appréhender nos succès. Il y a moins de fiel dans toutes les injures de John Bull que dans ce dénigrement acharné avec lequel certaines feuilles allemandes exploitent les misères de notre temps et de notre pays pour la plus grande joie des philistins vertueux. Que les hommes de bon sens s’efforcent seulement de persuader à l’honnête Michel qu’il n’est pas absolument nécessaire de refaire le monde ab ovo pour son propre usage, et qu’il peut bien marcher comme a marché la France sans nuire