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l’aspect de la diète à son début. On avait cru en haut lieu, disait-on, que l’on n’aurait devant soi que les représentans de huit provinces et de quatre ordres ; mais, quand une fois on a vu ces six cents personnes : — Tonnerre ! éclairs ! a-t-on crié tout d’un coup, c’est la nation ! — Il sera donc très difficile de rapetisser les états-généraux à la taille des états provinciaux, et l’on peut tenir au contraire pour certain que les prochaines diètes provinciales, au lieu de rester isolées comme elles l’étaient les unes des autres, ne seront plus que des tronçons de la diète générale qui aspireront toujours à se rejoindre.

Telle étant d’une part la réalité, de l’autre l’attitude prise par le gouvernement dans son recès, quelle a été l’impression du public ? Nous sommes en mesure d’affirmer que cette conduite, d’ailleurs assez prévue, a blessé tous les cœurs sans les décourager. La presse censurée ne peut assurément donner une idée très exacte de l’état moral des pays allemands, mais elle traduit toujours avec plus ou moins d’habileté les tendances de l’opinion, et la censure ne pèse point partout du même poids. On laisse aux feuilles du Rhin plus de liberté qu’à celles de la Saxe ou du Brandebourg. La Gazette de Cologne sait très heureusement profiter de cette tolérance pour défendre les principes constitutionnels, et la mesure, le tact qu’elle apporte au service d’une cause à la fois si compromettante et si chère, doivent lui mériter tous les éloges. La manière dont elle a parlé du recès est un exemple curieux de cette adroite polémique : n’en pouvant dire beaucoup de bien, la Gazette de Cologne s’est beaucoup félicitée de n’en avoir pas à penser plus de mal. Il existe, à l’en croire, dans les hautes régions du pouvoir et de la cour, un parti rétrograde qui voulait tout pousser à l’excès, tout rompre ; la couronne a résisté, elle a laissé tout en suspens : il faut encore l’en remercier. Le roi ne répond pas aux vœux des états, mais il ne leur reproche pas de les avoir exprimés, il ne recommence pas ce terrible discours du 11 avril, comme on l’avait conseillé, comme on l’avait craint. Le roi ne tient pas compte, n’entend même rien connaître des réserves formelles sous lesquelles un grand nombre des députés nommés aux Auschüsse (comités) avaient accepté leur mandat ; mais il ne les punit pas pour cette demi-obéissance, il ne poursuit pas même devant la justice, comme on l’avait annoncé, les sujets rebelles qui avaient refusé de choisir les Auschüsse et contrecarré directement ses ordres (Befehl). Nouvelle victoire du parti libéral sur le parti absolutiste !

On ne saurait se dissimuler qu’on sent bien quelque chose d’arbitraire et de fictif dans cette place improvisée que l’on fait ainsi à la royauté prussienne au juste milieu des partis, et cette royauté si personnelle, si vivante par elle-même et pour elle-même, se prête assez médiocrement à la froide et majestueuse neutralité qu’on lui suppose. Ce n’est pas là cependant une pure invention de polémiste. La Gazette de Cologne a devant elle un adversaire quotidien qui représente, avec toute l’étroitesse et toute l’âcreté possible, les préjugés les plus hostiles à ses idées nous voulons parler de l’Observateur Rhénan, l’organe semi-officiel d’une portion du cabinet de Berlin ; mais ce qui se trahit surtout dans cette manière de se consoler d’un mal par la joie de n’en pas éprouver un pire, c’est une sorte d’accommodement qui flatte ce besoin de temporiser dont l’Allemagne est toujours possédée même au milieu de ses plus vifs accès d’indignation, et, sous ce rapport, la tactique du journaliste se rencontre certainement avec le fond de bien des esprits.