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de tout ce qui peut la compromettre et la dénaturer. Quelle est l’accusation sans cesse renouvelée par le radicalisme ? C’est que l’opinion conservatrice en Suisse s’identifie avec la cause des jésuites. N’y a-t-il donc aucun moyen de faire tomber une accusation semblable ? N’y a-t-il pas, au sein de la religion catholique, une autorité compétente pour trancher l’épineuse question du séjour des jésuites à Lucerne ? Le pontife qui, dans la chaire de saint Pierre, montre un zèle si ardent pour le bonheur et la liberté des peuples, ne pourrait-il, par une intervention souveraine, contre laquelle à coup sûr personne ne s’élèverait, inviter les jésuites à quitter un pays où leur présence sème l’agitation et sert de prétexte à la guerre civile ? A Genève déjà, les catholiques ont fait connaître qu’ils ne marcheraient pas contre les sept cantons, et les conservateurs protestans de la ville de Calvin ont manifesté les mêmes intentions. Il n’y aurait ainsi à Genève, pour attaquer le Sonderbund, que les radicaux ; mais ces derniers formeraient une trop petite armée pour hasarder l’expédition. On s’abstiendra donc selon toute apparence, et on donne pour raison qu’il ne serait pas prudent de dégarnir la frontière du côté de la France, qui sans doute pourrait profiter de l’occasion pour conquérir la république de Genève. C’est par cette plaisante explication qu’on cherche à sauver l’amour-propre du radicalisme ; mais nous venons de donner les véritables motifs de sa modération momentanée. Au surplus, entre les résolutions prises par la diète et le commencement des hostilités, il y a heureusement bien des degrés à franchir, et nous espérons encore que des Suisses ne feront pas la faute d’aller porter la guerre dans ces petits cantons qui fondèrent l’indépendance helvétique en triomphant des Autrichiens.

Nous n’avons pas encore parlé du recès adressé par le roi de Prusse à ses fidèles états ; nous avons toujours peur de nous trop hâter dans nos opinions quand il s’agit de l’Allemagne, et les esprits vont, au-delà du Rhin, d’une allure qui leur est si particulière, que nous avons beaucoup à faire en France pour y accommoder la nôtre. Nous voulons aujourd’hui non pas expliquer ou commenter le recès royal (tout le monde sait à quoi il se réduit), mais le juger pour ainsi dire et juger des dispositions du pays par l’effet que ce nouvel acte semble y produire.

Le recès (Abschied), dans la langue politique de l’Allemagne, équivaut justement à cette série de réponses avec lesquelles le roi, du temps de notre ancienne monarchie, faisait annoter les cahiers de doléances des états-généraux ou provinciaux. C’est la voie la plus naturelle que puisse suivre un gouvernement en face d’une assemblée délibérante dont la compétence se borne au droit d’avis. Jusqu’ici donc, chacune des huit diètes provinciales avait eu son recès après la session finie. On a traité la grande diète comme on traitait les petites, on a gardé rigoureusement les mêmes formules, et l’on a obstinément nié de la sorte qu’il y eût la moindre différence de caractère et d’autorité entre les petites et la grande. On a passé tout-à-fait sous silence les prétentions politiques qui s’étaient frayé une route si légitime, et l’on n’a rien voulu voir d’autre dans cette assemblée toute nouvelle que la réunion pure et simple des vieilles assemblées provinciales, renfermées comme auparavant dans l’humble rôle d’une conférence administrative. Était-ce le vrai de la situation ? Nous ne le croyons pas.

Il courait à Berlin, au commencement de la session, un mot qui rendait bien