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bien entendu, les notabilités progressistes. Puis, quand la crise s’est précipitée tout à coup, lorsque la reine Isabelle a été suffisamment, avancée dans cette carrière d’intrigues, le parti révolutionnaire est venu, lui aussi, réclamer la réconciliation des deux époux, s’indignant presque que le roi ne cédât pas à la première parole de ceux qui avaient, porté le désordre dans le palais.

Qu’on juge maintenant, d’après la différence d’attitude des principaux, partis politiques de l’Espagne, lequel est le mieux placé moralement pour tenter de dénouer la crise actuelle. L’appel qui a été fait au général. Narvaez ne devait avoir rien d’imprévu dans ces circonstances. C’était une nécessité ; tout concourait à faire de nouveau dériver le pouvoir vers les opinions qu’il représente. Si l’intervention du général Narvaez ; peut être décisive, en effet, ce n’est pas seulement en raison de son énergie personnelle, c’est par son caractère politique, par sa position élevée dans le parti conservateur espagnol, et par une intime union avec les principaux membres de ce parti. Qu’arriverait-il si, comme on semble le craindre, le général Narvaez se laissait circonvenir et s’alliait, soit avec M. Salamanca, soit avec le général Serrano, soit avec quelques autres progressistes ? Il se livrerait lui-même, perdrait son crédit, ne résoudrait rien, laisserait subsister la question dans toute sa gravité, et provoquerait dans les provinces une révolution terrible, une révolution de la honte et du mépris. La dernière issue pacifique serait fermée devant l’Espagne. Si le général Narvaez reste uni avec le parti modéré, nous ne disons pas qu’il aura par cela même levé tous les obstacles : la plus grave des difficultés ne serait pas même peut-être écartée par l’éloignement forcé du général Serrano. Mais n’est-il pas vrai de dire que par ses antécédens, par ses habitudes de respect pour la royauté, par la force de ses convictions monarchiques, le parti modéré est, plus que tout autre, en position d’atténuer l’effet des dissentimens publics des deux princes, d’obtenir des concessions, de faire prévaloir l’intérêt du pays sur les griefs personnels, de ramener, il faut le dire, la raison et la convenance au palais de Madrid ?

Le parti modéré puise ses titres au pouvoir, — nous ne dirons pas dans la confiance des chambres, ce serait pour le moment fort illusoire, — mais dans les services qu’il a rendus à la monarchie constitutionnelle, dans les garanties d’ordre et de liberté qu’il offre à la Péninsule. Un des grands malheurs de l’Espagne, c’est que sur ce sol dévasté il n’y a qu’une institution vivante, celle qui lui a été léguée par le temps, la royauté ; lorsque la royauté elle-même est mise en cause, toutes les chances sont pour l’anarchie. Les lois nouvelles n’ont pas pris racine ; l’organisation politique, administrative, du pays est à peine ébauchée et toujours contestée ; les intérêts ne sont point développés et classés encore. Il n’y a pas au-delà des Pyrénées cet ensemble d’institutions secondaires