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de dignité. Comment cette influence a-t-elle pu prévaloir et acquérir tout son développement sans trouver une résistance nette et péremptoire dans les conseils de la couronne ? C’est un point que nous examinerons dans un instant, et où se trouve engagée la responsabilité morale du cabinet Pacheco-Salamanca. Toujours est-il que cette influence est devenue l’arbitre de l’état ; il a suffi de sa volonté pour fermer les chambres, annuler même l’action ministérielle, et rouvrir une ère d’aventures. Il n’est resté qu’un maître en Espagne, c’est cette influence dont le nom court aujourd’hui Madrid et l’Europe, et qui s’appelle le général Serrano. Si quelque chose peut affliger encore plus que le fait lui-même, c’est l’éclat singulier avec lequel il s’est produit. M. Serrano n’était-il pas, en effet, partout où se trouvait la reine Isabelle, à Aranjuez, à la Granja ? Le public n’a-t-il pas pu suivre chaque mouvement de ce général érigé en personnage exceptionnel, homme de nulle valeur politique, flottant entre tous les partis, dont la fortune a fait un favori, ne pouvant en faire un ministre de quelque poids, de quelque gravité ? L’opinion s’est occupée de lui comme du dispensateur du pouvoir ; on a fait ironiquement sa physiologie sous le nom de l’influence ; de longues et ardentes polémiques ont jeté au monde cette gloire d’un nouveau genre. Se peut-on bien étonner, après cela, de la résolution que le roi don Francisco a puisée dans un sentiment honorable, lorsqu’il a vu grandir cette influence entre lui et la reine ? Sa conduite était nettement tracée au contraire, et, en suivant le conseil de sa dignité blessée, il avait pour lui le pays, qui appelait et appelle encore d’une voix unanime un rapprochement entre les époux royaux, c’est-à-dire la disparition des causes qui les ont momentanément séparés. Ses griefs étaient ceux de la nation étonnée elle-même. Il faut l’avouer hautement, pendant cette crise, la modération, le sentiment de la dignité morale, l’intelligence politique, ont été entièrement du côté du roi d’Espagne. S’il y a eu indignité, il faut la chercher ailleurs. Ce n’est point, du reste, à la reine que nous l’imputerons ; c’est à ceux qui ont surpris sa jeunesse, qui ont égaré son esprit et risqué sa couronne pour satisfaire quelques passions mesquines, quelque honteux mouvement d’une ambition personnelle sans scrupules. La reine Isabelle, à vrai dire, n’a été qu’une victime en tout ceci, puisqu’elle y a compromis le prestige de son honneur comme femme, le prestige de sa couronne comme reine. Les vrais auteurs de la crise terrible qui pèse sur l’Espagne sont cette tourbe d’intrigans qui ont spéculé sur l’inexpérience d’une jeune femme en l’abaissant jusqu’à eux ; les vrais coupables, aux yeux du pays, sont autour d’Isabelle, et on peut ajouter qu’ils sont de plus d’un genre.

La situation de la Péninsule s’est envenimée, en effet, par un concours de circonstances très diverses, d’influences obscures qu’il n’est