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L’Italie se reprend à la vie sous la main d’un pontife qui a le génie du bien et réveille dans les ames les deux sentimens les plus généreux, celui de l’indépendance et celui d’un sage progrès. La première expérience d’un régime de libre discussion vient à peine, de se clore en Prusse, laissant l’Allemagne dans une sorte d’attente. Demain peut-être la Suisse sera livrée à la guerre civile, et l’anarchie viendra poser pour les puissances circonvoisines le redoutable problème de l’intervention. Dans ce singulier concours d’événemens, s’il convient de porter une attention particulière sur la Péninsule, si la question espagnole, qui est toujours, à vrai dire, cette ancienne question des mariages sous une autre face, mérite la plus vive sollicitude des cabinets, de l’opinion, c’est que, plus que toute autre, elle peut, dans un jour prochain, se transformer en une question européenne et pousser notamment à leur dernière limite les dissentimens qui ont éclaté à cette occasion entre la France et l’Angleterre, si chacun des gouvernemens reste fidèle à son rôle. L’imminence de cette crise qui pèse sur l’Europe, la situation périlleuse de la Péninsule l’a rendue pour ainsi dire plus visible et plus présente à tous les yeux. La nature délicate des difficultés qu’on a vues se dérouler d’une manière si inattendue au-delà des Pyrénées est là encore comme une menace incessante pour la paix générale et pour l’avenir même de l’Espagne.

Jusqu’ici, les collisions violentes dont ce pays était le théâtre se passaient entre les partis, n’atteignaient que les progressistes et les modérés, mais elles ne touchaient pas à la royauté ; elles la laissaient au contraire chaque fois plus intacte et plus respectée, comme une dernière chance contre le désordre, comme une suprême sauvegarde et aussi comme une garantie pour l’Europe : elles ne faisaient que démontrer la vitalité de l’institution monarchique. Qu’on se souvienne de l’effet produit par les saturnales de la Granja en 1836, et par la régence d’Espartero de 1840 à 1843. Aujourd’hui c’est la royauté qui est venue se mettre elle-même en cause, afficher ses caprices, ses folies, ses faiblesses, et se livrer à un discrédit qu’il sera difficile de faire oublier. L’anarchie, qui pourtant avait fait un assez beau chemin en Espagne, a semblé faire un pas de plus en gagnant le pouvoir le plus élevé, celui qui était resté jusqu’à ce moment hors de toute atteinte. Pour parler plus clairement, il y avait quelques mois à peine que la reine Isabelle était mariée avec l’infant don Francisco de Asis, et déjà les plus sérieux et les plus vifs dissentimens séparaient publiquement les époux royaux. On est même allé jusqu’à prononcer un instant le mot de divorce dans le pays le plus catholique du monde ; quelques organes de la presse française se sont plu à mettre Isabelle sur la route de Paris, abandonnant sa couronne. Sans admettre ces extrémités, nous l’avouerons, quant à nous, c’est bien assez d’avoir mis l’Espagne entière