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procédés plus matériels et plus complexes. Si une vierge de Raphaël, une sibylle de Michel-Ange, peuvent, par la noblesse de leurs lignes, se passer du prestige de la couleur ; des scènes familières, des personnages d’une moins haute nature ont besoin d’y recourir. Le paysage ne saurait s’en passer, car il n’existe que par les variétés de nuances, les oppositions de lumière et d’ombre, toutes choses qui nécessitent l’intervention de la palette. Le dessin d’un paysage n’a pas la même rigueur que celui d’une figure : un tronc peut pencher à droite ou à gauche, un rocher avoir telle ou telle cassure, un bouquet de feuilles s’insérer plus haut ou plus bas ; la ligne est donc ici moins importante. Nous ne partageons pas tout-à-fait la doctrine de M. Töpffer, à laquelle lui-même met çà et là de judicieuses restrictions ; l’anatomie du paysage a des lois moins visibles que l’anatomie du corps humain, mais tout aussi rigoureuses. Ce n’est pas le hasard qui incline ou redresse le tronc des arbres, et il n’est pas indifférent de diriger une branche d’un côté ou d’un autre ; chaque plante a ses attitudes particulières dont il faut saisir le secret, et, pour ce qui est de croire que la beauté d’un paysage ne puisse être exprimée par un simple linéament, tout comme celle d’une déesse ou d’une madone, si M. Töpffer avait pu voir les dessins à la plume ou au crayon de MM. Aligny, Bertin, Corot, Bellel, il aurait compris que l’idéal d’un arbre pouvait être rendu par les moyens les plus sobres et les plus élémentaires.

Assurément la couleur a besoin du dessin, et l’on ne conçoit pas qu’elle existe sans lui. Les nuances pour s’étaler nécessitent une délimitation quelconque ; même en atteignant les corps par les milieux et en évitant toute espèce de trait, on arrive malgré tout à un dessin caché qui n’est pas moins réel, mais de cette conséquence il ne résulte à nos yeux aucune infériorité pour la couleur. Le dessin, c’est la mélodie ; la couleur, c’est l’harmonie : qu’on nous permette cette comparaison empruntée à un autre art. La mélodie peut bien subsister indépendamment de l’harmonie, cela est vrai, mais de quelles prodigieuses richesses de nuances, de quelle puissance d’effet ne serait-on pas privé en supprimant cette dernière ! L’idée du beau se rend aussi bien par un choix de teintes que par un choix de lignes. Quand Paul Véronèse fait monter dans un ciel bleu de turquoise la blanche colonnade d’un portique, quand Rubens frappe d’une plaque rose une joue d’un gris argenté, le Vénitien et le Flamand ont exprimé tout aussi nettement leur idée d’élégance, de beauté et de splendeur, que Raphaël en caressant le contour de la Fornarina.

Pour appuyer son opinion, M. Töpffer, remontant à la peinture antique, prétend qu’elle devait briller plutôt par la perfection du dessin que par la science du coloris. Il ne nous reste rien d’Apelles, de Parrhasius, de Timante, de Polygnote, de Zeuxis. Le temps impitoyable