Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je n’ai ni écuries, ni maïs, ni paille à offrir à vos seigneuries, dit le métis d’un air rébarbatif ; ainsi vous ferez bien de passer votre chemin.

— Va-t’en au diable, dit l’officier, avec ta paille, ton maïs et tes écuries ! nous n’avons besoin que d’une chambre telle qu’il la faut à des chrétiens et à des officiers. Ouvre, ou j’enfonce ta porte.

Et à l’appui de cette injonction, le capitaine don Blas donna contre la porte un coup de sabre si furieux, que le huesped intimidé laissa tomber la chaîne ; puis, s’excusant sur la dureté des temps, qui mettait tant de malfaiteurs en campagne, il nous conduisit dans une chambre qui ressemblait fort à une écurie.

— J’espère, s’écria don Romulo en portant son mouchoir à son nez, que nous ne passerons pas la nuit dans ce bouge infect !

— Vous êtes difficile, mon cher, répondit fray Serapio ; cette chambre me semble fort convenable.

En dépit de cette assertion, il fut décidé qu’aussitôt l’orage passé nous remonterions à cheval. Nous restâmes sur pieds, prêts à continuer notre route dès que la tempête serait calmée, afin d’arriver le plus tôt possible à l’hacienda, où une réception plus hospitalière nous était promise. Il s’agissait d’une heure ou deux d’attente, et je pensai que l’occasion était bonne pour demander à fray Serapio quelques détails sur le moine mystérieux que j’avais rencontré dans le jardin de San-Francisco. À ma première question : — Je devine de qui vous voulez parler, répondit fray Serapio en secouant la tête ; c’est fray Epigmenio que vous avez vu sous la tonnelle, dans le jardin du couvent, dont il est avec vous le seul visiteur. Un procès avec l’inquisition a tourné la tête de ce malheureux, et depuis cinquante ans sa vie n’est qu’une longue pénitence.

— Eh bien ! je vous l’avouerai franchement, repris-je, j’avais pressenti qu’il y a dans la vie de cet homme quelque douloureux mystère. C’est sur vous que je comptais pour le pénétrer ; c’est vous que je cherchais quand le hasard nous a réunis dans les allées de la Viga.

Le moine allait répliquer, quand un bruit extraordinaire se fit dans la cour de la posada, que des torches éclairèrent d’une lueur rougeâtre. Presque en même temps un homme reconnaissable à sa figure cuivrée et à son costume pour un Indien entra, suivi de plusieurs habitans du village, brandissant les uns des torches, les autres des bâtons noueux. Quelques-uns portaient même des arcs et des flèches dans des carquois de jonc tressé. L’Indien qui paraissait le chef de la troupe s’avança vers nous et nous prévint, en assez mauvais espagnol, que, notre entrée bruyante ayant jeté le trouble dans le village, l’alcade désirait nous voir un instant.

— Et si nous ne voulons pas voir l’alcade ? répondit l’officier.