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années avaient suffi pour ressusciter en eux cette superstition royaliste, ce culte religieux du passé, cette horreur des agitations populaires qui, après la première révolution, avaient rendu possible la tyrannie des fils de Charles Ier. La prudence de Pitt, la force de son caractère et de son génie continrent tant qu’il vécut ces tendances étranges dans les limites où elles pouvaient lui être utiles sans devenir pour lui un embarras ; après sa mort seulement, le torysme apparut sous ses véritables couleurs. A l’exception de Canning, que les tories même ne voyaient pas sans défiance, les chefs influens, les véritables représentans du parti, presque tous jeunes encore ou récemment arrivés aux grandes positions politiques, ne réunissaient à un haut degré ni les qualités de l’orateur, ni celles de l’homme d’état. Lord Eldon, lord Castlereagh, Perceval, lord Hawkesbury (devenu lord Liverpool), n’avaient rien qui les élevât de beaucoup au-dessus des passions aveugles et des préjugés étroits de leurs amis.

Tel était le parti tory lorsque la chute des whigs lui rendit le ministère ; tels étaient les hommes qui allaient avoir à défendre l’Angleterre et l’Europe contre Napoléon, qu’en ce moment même la bataille de Friedland et le traité de Tilsitt portaient à l’apogée de sa puissance. Évidemment, ils eussent été insuffisans à une époque moins avancée de la guerre, lorsque les moyens de la soutenir n’étaient pas encore organisés, lorsqu’il y avait encore dans une partie de la nation de grands doutes sur la nécessité de la continuer ; mais, au point où on en était arrivé, toute incertitude avait depuis long-temps disparu ; la lutte terrible engagée entre les deux plus puissantes nations du globe avait pris un caractère de violence et d’acharnement qui devait la faire aboutir à la ruine de l’une des deux. On n’en était plus à mesurer les coups, à calculer les moyens ; c’était un combat à mort dans lequel chacun prodiguait ses dernières ressources, saisissant presque au hasard les armes qui lui tombaient sous la main. Le gouvernement britannique avait cet avantage que, pour finir par triompher, il lui suffisait de prolonger ce combat gigantesque jusqu’au jour où Napoléon succomberait dans la tâche impossible qu’il avait entreprise de mettre sous le joug tout le continent. Les sacrifices qu’un tel état de choses imposait à l’Angleterre étaient énormes. Il n’avait fallu rien moins que le génie et le courage de Pitt pour créer le système qui mettait le pays en mesure de les supporter. A défaut d’un pareil génie, et alors qu’il ne s’agissait plus que de marcher dans la voie qu’il avait ouverte, peut-être la persévérance passionnée des tories, stimulée par la haine aveugle qu’ils portaient à la France et à la révolution, était-elle plus appropriée aux besoins du moment que le libéralisme éclairé de leurs adversaires. Pour ces derniers en effet, la guerre n’était qu’une nécessité douloureuse, et, aspirant de tous leurs vœux à la terminer avec