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Le torysme, dont ce cabinet était la plus pure expression, ne se rattachait d’une manière immédiate ni à celui qui avait soutenu, au temps des Stuarts, les doctrines du pouvoir absolu et du droit divin, ni même à celui qui, dans les premières années du règne de George III, sous la direction de lord Bute et de lord North, s’était efforcé de détruire le pouvoir parlementaire au profit de l’autorité royale. Après la défaite définitive de ce vieux parti, les whigs victorieux s’étaient divisés. Tandis que Fox, à la tête du plus grand nombre, continuait à porter le drapeau des libertés populaires, Pitt formait avec les autres, unis aux débris de l’ancien torysme, un nouveau parti de gouvernement qui devait prendre non-seulement le nom, mais jusqu’à un certain point la position et les opinions de l’ennemi vaincu. Cette métamorphose singulière ne fut pas l’œuvre d’un moment. Les nouveaux tories, en devenant les défenseurs du principe d’autorité monarchique, n’en adoptèrent pas immédiatement les exagérations anti-libérales. Pendant quelque temps, on les vit, à l’exemple de Pitt, leur habile chef, se maintenir avec une réserve prudente dans la voie des réformes et des innovations utiles ; mais les excès de la révolution française ne tardèrent pas à les jeter dans une autre direction. Effrayés des tentatives violentes faites par des fanatiques pour étendre à l’Angleterre les conséquences de ce grand événement, ils se persuadèrent que le seul moyen d’y opposer une résistance efficace, c’était de s’attacher avec une inébranlable fermeté au vieil édifice de la constitution britannique, de ne pas permettre qu’il y fût porté la plus légère atteinte, même pour le perfectionner, de repousser systématiquement tout ce qui tendrait à affaiblir le gouvernement, et même de lui accorder sans scrupule tous les pouvoirs extraordinaires dont il croirait avoir besoin soit pour mieux combattre la France, soit pour réprimer les anarchistes. Dans la pensée de Pitt, ce n’était évidemment qu’une politique de circonstance ; il suffit d’étudier attentivement ses actes et ses discours pour reconnaître qu’il n’avait pas renoncé aux convictions de sa jeunesse, que plusieurs des grands projets d’amélioration politique et sociale dont il s’était jadis préoccupé vivaient encore au fond de sa pensée, et que, dans des temps plus favorables, il y serait revenu ; mais cette puissance de rester fidèle aux doctrines mêmes dont on est contraint de modifier ou de suspendre l’application est une des qualités les plus rares qui distinguent les ames fortes et les esprits élevés : elle est également inconciliable avec un caractère passionné et avec une intelligence médiocre. C’est assez dire qu’elle ne saurait appartenir ni à un parti tout entier, ni même à la plupart de ses chefs. Les nouveaux tories ne firent pas exception à la règle commune. Emportés par une réaction dont les circonstances expliquent et excusent la vivacité, ils se montrèrent bientôt animés d’un fanatisme qui semblait les reporter à deux siècles en arrière. Quelques