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se tenir à l’écart. Il répugnait à se jeter ouvertement, complètement dans l’opposition, parce qu’il sentait qu’en faisant un pas de plus dans cette voie, il se créait des difficultés pour l’avenir. Des critiques de détail, auxquelles il évitait soigneusement de donner un caractère systématique, étaient les seules attaques qu’il dirigeât contre le cabinet. Il espérait qu’Addington tomberait sans qu’il eût trop directement contribué à sa chute. Ce manège, où l’on cherche vainement la franchise et la dignité du grand homme d’état, ne devait pas lui réussir. Il fallut enfin qu’il se décidât à entrer ouvertement en lice, à combattre au grand jour à côté de Fox, que, cependant, il ne voulut pas voir en particulier. Cet effort fut décisif. Addington, qui conservait encore dans la chambre des communes une faible majorité numérique, mais qui voyait tous les chefs de parti, tous les grands talens réunis contre son administration, se détermina enfin à céder la place. S’il faut en croire les explications qu’il donna alors à un de ses amis, il se sentait encore en état de prolonger le combat, mais il craignait que les émotions d’une crise aussi violente ne compromissent la santé du roi, qui venait d’éprouver une nouvelle rechute ; il craignait aussi que Pitt, en s’engageant de plus en plus dans l’opposition, ne devînt moins apte à servir utilement le pays. Si ce furent là les vrais motifs de la retraite d’Addington (et l’honnêteté bien connue de son caractère permet de le penser), ils lui font, certes, beaucoup d’honneur ; on peut seulement regretter qu’il ait autant tardé à prendre sa résolution ; plus prompte, cette détermination eût été plus évidemment volontaire, et elle aurait plus complètement atteint le double but qu’il disait avoir en vue.

Il n’entre pas dans mon sujet de raconter le pénible enfantement du ministère dont Pitt, sur l’invitation du roi, entreprit la formation, de dire comment, le roi ayant absolument refusé d’y laisser entrer Fox, et lord Grenville n’ayant pas voulu y entrer sans lui, Pitt n’eut d’autre ressource, pour composer son cabinet, que de réunir à quelques-uns de ses anciens amis la majeure partie des collègues d’Addington, qui les engagea généreusement à accepter les offres de son rival. Ainsi se rompit la coalition à peine formée, et, en se rompant, elle brisa les partis mêmes qui s’étaient un moment réunis sous son drapeau. La puissante majorité qui avait soutenu jadis la politique de Pitt avait, en réalité, cessé d’exister.

Addington, en se retirant après avoir rempli pendant trois ans les fonctions de premier ministre, refusa la pairie que le roi lui offrit de la manière la plus pressante. Il ne voulut pas accepter de pension. Ce n’est pas la seule preuve de désintéressement qu’il ait donnée dans le cours de sa carrière. Il faut pourtant remarquer que trois ans auparavant il avait fait conférer à son fils, à peine sorti de l’enfance, une sinécure d’un revenu de 3,000 livres sterling. À cette époque, une pareille