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commençait à peser, saisissaient, pour se rapprocher du pouvoir, l’occasion ou le prétexte d’un changement de personnes. Quant à cette classe qu’on désigne en Angleterre sous le nom de country gentlemen, et qui répond à notre noblesse de province, classe très influente dans la chambre des communes, où elle a presque toujours représenté l’esprit de conservation un peu exagéré, elle était animée d’une bienveillance particulière pour les nouveaux conseillers de la couronne. Les hommes de cette classe, pour la plupart honnêtes, médiocres, indépendans par position, dépourvus d’ambition personnelle, sont toujours portés à voir avec répugnance tout ce qui fait du bruit, tout ce qui trouble le repos routinier, qui est, à leurs yeux, le plus grand des biens. Ralliés autour de Pitt par le sentiment intime de la supériorité qui le rendait plus propre qu’aucun autre à gouverner l’Angleterre au milieu des orages soulevés par la révolution française, ils n’eussent certainement rien fait pour lui ôter le pouvoir, ils continuaient à l’estimer et à l’admirer ; mais ils n’étaient pas éloignés de penser que, les circonstances ayant changé et les dangers extérieurs s’étant éloignés, le pays devait trouver quelque avantage à n’être plus gouverné par des hommes engagés trop long-temps dans les combats parlementaires pour être suffisamment aptes à opérer la réconciliation des partis, cette chimère favorite de la bienveillance inexpérimentée. Sous beaucoup de rapports d’ailleurs, Addington et plusieurs de ses collègues leur inspiraient une singulière sympathie. Long-temps dominés et éblouis par le génie de Pitt et de Fox, ce n’était pas sans une secrète complaisance qu’ils voyaient la direction du gouvernement passer enfin à des esprits d’une portée plus modeste, dont les conceptions moins hardies, moins élevées, ne dépassaient pas d’aussi loin le niveau de leur intelligence.

Des motifs analogues appelaient sur les nouveaux ministres la faveur particulière du roi. George III, qui, dans les commencemens de son règne, avait mis tant d’opiniâtreté à exclure de son conseil quiconque prétendait y faire prévaloir des idées tant soit peu contraires à son étroite politique, s’était résigné depuis, sous l’empire de la nécessité et pour conjurer de grands périls, à subir la supériorité hautaine de Pitt et de lord Grenville. Un revirement inattendu le mettait tout à coup en présence d’hommes portés par sentimens, par principes, par préjugés, à un respect excessif, à une sorte d’adoration pour l’autorité royale, et qui, au surplus, pour lui complaire, n’avaient pas à faire de sacrifices d’opinions, puisque les leurs comme les siennes étaient celles du vieux torysme. Il était impossible qu’il n’éprouvât pas d’un tel changement un grand bien-être moral et qu’il ne prît pas en affection ceux qui en étaient pour lui l’instrument. Addington et le nouveau chancelier, lord Eldon, ne tardèrent pas à recevoir les témoignages les moins équivoques de sa confiance et de son amitié. Ces témoignages avaient même