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qui d’ailleurs n’avait pas éclaté dans le public parurent effacées, mais il en resta certainement dans l’esprit des deux principaux intéressés une impression pénible, un sentiment de défiance et de malaise.

Addington prit enfin possession du ministère. Le cabinet dont il devenait le chef comprenait, avec quelques anciens collègues de Pitt qui n’avaient pas partagé son opinion sur la nécessité d’émanciper les catholiques, plusieurs hommes jusqu’alors étrangers à la direction suprême des affaires. Aucun d’eux n’était connu soit pour une haute éloquence, soit pour un caractère ou des talens supérieurs ; presque aucun ne compensait par une grande position de naissance ou de fortune ce qui leur manquait à tous en distinction personnelle. Une telle combinaison semblait bien peu proportionnée à l’étendue des difficultés et des périls. Néanmoins, grace à un heureux concours de circonstances, le nouveau ministère obtint d’abord d’éclatans succès. L’Égypte fut enlevée aux Français. La victoire de Copenhague brisa la ligue maritime du Nord, qui menaçait dans son principe la force de l’Angleterre. La mort de l’empereur Paul rompit les rapports intimes qui commençaient à s’établir entre la Russie et la France, et qui allaient les réunir dans une alliance contre le cabinet de Londres. L’Angleterre se trouva en mesure de traiter avec plus d’avantage d’une paix que l’opinion publique réclamait impérieusement, et, comme le dominateur de la France croyait aussi en avoir besoin pour affermir son autorité, les négociations ne tardèrent pas à s’ouvrir. Dirigées par Addington et par lord Hawkesbury, secrétaire d’état des affaires étrangères, avec une modération ferme et habile, elles aboutirent promptement au traité d’Amiens, dont les clauses, parfaitement honorables pour l’Angleterre, à qui elles laissaient une partie de ses conquêtes, furent d’abord l’objet d’un assentiment presque universel.

Le peuple anglais, soulagé tout à la fois du fardeau des taxes énormes que lui imposait la guerre et du surcroît de privations qu’y ajoutait une disette dont on avait enfin atteint le terme, commençait à respirer. L’allégement des souffrances publiques calmait naturellement la violence des partis ; l’ordre public, un moment troublé par des conspirations et des émeutes auxquelles on avait opposé des lois d’exception temporaires et l’action rigoureuse de la justice, était complètement rétabli. Dans le parlement même, le cabinet sembla pendant quelque temps ne plus compter d’adversaires. Pitt et ses amis, sauf un très petit nombre de dissidens, lui prêtaient un appui franc et soutenu. Le parti de Fox, considérant comme une victoire la retraite de l’ancien ministère, ménageait les successeurs de Pitt et affectait de voir dans leur avènement, sinon l’inauguration de sa propre politique, au moins l’abandon, le désaveu de celle qu’il avait si long-temps combattue. Déjà même quelques-uns des membres de ce parti, à qui une opposition de vingt années