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négociation aussi délicate, Dundas et lord Grenville acceptèrent cette difficile commission. Ils se gardèrent bien de dire au vieux monarque qu’il s’agissait d’une détermination déjà tout-à-fait arrêtée ; ils ne lui en parlèrent guère que comme d’une idée qui leur était personnelle. Malgré tous ces ménagemens, George III, décidé d’avance à repousser la proposition qu’on lui faisait entrevoir, se mit aussitôt en défense.

Des circonstances accidentelles lui avaient fait rencontrer plusieurs fois Addington. Il avait reconnu, en causant avec lui, que les vues politiques de l’orateur des communes étaient à peu près conformes aux siennes, particulièrement au sujet de la question catholique. Sans doute aussi les manières douces et respectueuses d’Addington avaient plu à un prince accoutumé à la raideur un peu sèche de Pitt et de lord Grenville. Dans l’embarras où venaient de le jeter les ouvertures de ses ministres, c’est à lui qu’il s’adressa pour demander du secours. Il lui écrivit, le 29 janvier 1801, une lettre que je crois devoir insérer ici tout entière, parce qu’elle peint à la fois l’homme et la situation :

« L’orateur de la chambre des communes connaît assez, je l’espère, la haute estime que je fais de la droiture de son caractère privé aussi bien que de son habileté et de sa sagesse dans l’accomplissement de ses devoirs officiels pour ne pas être surpris de mon désir de lui communiquer les appréhensions très graves que je conçois de l’existence d’un projet de proposer à la première session du parlement du royaume-uni une mesure de la nature la plus funeste, projet formé par un homme qui se qualifie lui-même ami de l’administration, je veux dire lord Castelreagh : il ne s’agit de rien moins que d’admettre les catholiques romains du royaume-uni à une complète égalité de droits avec ceux de l’église établie pour siéger dans les deux chambres du parlement et pour occuper des emplois de confiance ou des places lucratives. Les personnes les mieux informées font entendre que M. Pitt favorise cette opinion. Que ce soit celle de lord Grenville et de M. Dundas, j’en ai la preuve la plus positive, puisqu’ils me l’ont déclaré. Je ne leur ai certainement pas dissimulé l’aversion que m’inspire une pareille idée, que, si on venait à y donner suite, je considérerais comme un devoir d’en exprimer publiquement une désapprobation, et qu’aucune considération ne me ferait jamais consentir à ce que je regarde comme la destruction de l’église établie, de cette église que, par la sagesse du parlement, moi et mes prédécesseurs nous avons été obligés, à notre couronnement, de prêter serment de soutenir.

« Cette idée de donner des droits égaux à toutes les églises chrétiennes est contraire à la législation de toute espèce de gouvernement en Europe, car il est bien connu que la tranquillité ne peut subsister dans un pays où il n’y a pas d’église établie.

« J’abuserais bien inutilement du temps de l’orateur si j’en disais davantage, sachant que nous pensons de même sur cet important objet. Je désire qu’il veuille bien, de lui-même, ouvrir les yeux de M. Pitt sur le danger qu’il y aurait à soulever cette question fâcheuse, en sorte qu’il le détourne de me parler jamais d’une matière sur laquelle j’ai peine à converser de sang-froid, et qu’il lui fasse