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de lord Grenville, secrétaire d’état des affaires étrangères. Bien qu’Addington fût alors d’avis qu’il convenait de continuer la guerre, il n’approuva pas le ton des dépêches écrites par lord Grenville à M. de Talleyrand : il pensait avec raison qu’un pareil langage manquait de dignité autant que de modération, et qu’il devait faire tort dans l’opinion au gouvernement qui le tenait. Il ne serait pas impossible que ce fût aussi le sentiment de Pitt, et qu’en cette occasion, comme en plusieurs autres, l’humeur impérieuse de son collègue eût fait quelque violence à sa modération naturelle.

On sait quel fut le triste résultat de ces bravades. Au bout de quelques mois, les batailles de Marengo et de Hohenlinden avaient abattu l’Autriche aux pieds de la France, et la Russie, réconciliée avec le premier consul, se mettait à la tête d’une confédération maritime contre L’Angleterre, complètement isolée. Ce qui aggravait les périls d’une telle situation, c’est que l’état intérieur du pays était aussi fort alarmant. Une disette prolongée, en augmentant la misère produite par une guerre de dix années, avait excité au sein des classes pauvres, dans toutes les parties du royaume-uni, une extrême irritation, et l’Irlande particulièrement semblait sur le point de se révolter encore une fois. On a cru dans le temps, on a souvent répété depuis, qu’en présence de ces complications, Pitt, reconnaissant l’impossibilité de continuer la guerre, et ne voulant ni s’humilier personnellement en se chargeant de négocier avec l’ennemi qu’il avait tant insulté, ni mettre obstacle, en restant au pouvoir, à une pacification devenue nécessaire, s’était décidé à quitter temporairement la scène politique. Pour dissimuler le motif de sa retraite, Pitt aurait fait naître à plaisir ou du moins singulièrement exagéré un dissentiment entre le roi et lui sur la question de l’émancipation catholique ; mais, afin de se ménager la possibilité de revenir au pouvoir le jour où les circonstances réclameraient de nouveau le concours de son énergie et d’empêcher qu’en son absence des mains étrangères ne dérangeassent les ressorts du gouvernement, il aurait désigné au roi, pour occuper provisoirement sa place, l’orateur de la chambre des communes, son ami, son confident. Cette supposition était sans doute très ingénieuse ; elle séduira quiconque n’a pas appris par l’expérience que les affaires ne se conduisent guère avec cette régularité symétrique, et que les passions, les amours-propres des hommes publics se prêtent difficilement à d’aussi subtiles combinaisons. Aujourd’hui, après les révélations que le temps a successivement amenées, après celles surtout que contient la Vie de lord Sidmoutlh, il n’est plus possible de méconnaître que la version long-temps accréditée n’était pas conforme à la réalité des faits. Cela ne veut pas dire qu’il ne s’y mêle aucune portion de vérité. Incontestablement, la position fausse et pénible où Pitt se trouvait placé par suite des victoires