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gnification propre, et ne leur a plus laissé d’autre nom que le sien. Ce sont les peelites, qualification bien plus étrange en Angleterre que nous ne pouvons le penser, habitués comme nous le sommes chez nous à distinguer les catégories politiques en les groupant derrière des individus. Chatham était un grand ministre, et il n’y eut point de chathamites.

Évanouissement encore plus singulier ! ceux qui ont répugné, par sentiment ou par principe, à s’oublier ainsi, dans leur fidélité pour un homme, jusqu’à perdre tout souvenir d’un parti, ceux qui n’ont voulu se faire ni conservateurs ni peelites, ceux-là n’ont pas même défendu le vieux mot de torysme. On s’en décore çà et là par affectation ou par ignorance ; mais le plus souvent on l’explique ou on le restreint. Le torysme s’efface pour la plus grande gloire du protectionisme, qui s’inscrit en son lieu et place dans le vocabulaire politique. Combien durera l’inscription ? Des mots comme ceux-là tombent vite. Le torysme était un instinct et un principe ; le protectionisme, qui l’abrite aujourd’hui, ne couvre plus qu’un recoin de l’ancien édifice ; c’est une opinion.

Enfin, à l’autre bord, du côté des whigs, si le corps originaire ne s’est pas ainsi dissous en se morcelant, il s’est en quelque sorte abîmé au milieu d’une invasion. Les whigs ont tendu la main à des alliés si divers ; pour obéir à leurs nécessités et à leur philosophie, ils ont été chercher du secours si loin et en tant de lieux, qu’ils ont peine maintenant à prendre le pas sur leurs recrues. Il n’y a qu’un nom possible pour cette foule qui se presse autour d’eux, et dans laquelle on distingue à peine cette petite association si intime et si exclusive, ce gouvernement vénitien que l’aristocratie whig formait autrefois à elle seule. Ce nom, dans lequel se perd le nom pourtant si beau de whigs, n’est plus même un mot de souche anglaise, c’est l’honneur commun de tous ceux qui, des quatre vents, poursuivent aujourd’hui le plus complet développement des facultés humaines, des devoirs et des droits publics. En face des conservateurs, peelites ou protectionistes, il y a les libéraux.

Voilà bien encore sans doute de grandes divisions, de grands fronts de bataille, mais n’entrez pas dans les rangs si vous ne voulez tout de suite apercevoir que rien ne tient ensemble : tout est juxtaposé, rien n’est relié. Que de fractions hostiles entre elles, depuis le chartiste, qui veut tout balayer en courant, jusqu’au vrai whig, son confédéré, qui parle toujours de réformes et les ajourne toujours, depuis le conservateur qui procède plus radicalement que les whigs jusqu’au vieux tory qui crie encore avec la populace le brutal no-popery, jusqu’au néo-tory qui prêche aux fils corrompus du XIXe siècle les beautés de la civilisation saxonne ! D’où vient donc tant de confusion, d’où sort cette Babel parlementaire ? Comment les opinions et les doctrines se sont-elles broyées en tant de parcelles, qu’on dirait la poussière sur un grand chemin ? Comment n’y a-t-il plus de partis constitués dans ce pays où le monde moderne avait appris ce qu’on n’avait jamais su faire ailleurs, à gouverner en usant des partis eux-mêmes comme d’un ressort de gouvernement ? Il y a là, dit-on, un malheur et une faute, et l’un et l’autre retombent sur la législature qui expire, sur l’homme qui l’a conduite ou dominée. Le parlement de 1841 avait été envoyé à Westminster pour fortifier les lois protectrices de la richesse aristocratique ; il les a lui-même abrogées en proclamant le principe contraire, en poussant presque à ses dernières conséquences la doctrine du free-trade. Le mandat des électeurs