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des dulces : c’étaient du coco râpé et confit, de la conserve de roses et des azucarillas ; puis, l’heure de la séparation étant arrivée, on nous fit promettre de revenir le lendemain.

Quand un étranger s’est montré durant une semaine dans un salon de Valparaiso et qu’il s’abstient un ou deux soirs d’y venir, son absence est remarquée. Si elle dure plusieurs jours, il peut s’attendre à subir un fort réjouissant interrogatoire, qui aura pour thème cette phrase, répétée vingt fois par les femmes : — Esta usted enamorado ? — Une réponse affirmative ne fait, comme on le pense bien, que déterminer une nouvelle série de questions. Les curieuses veulent naturellement alors connaître le nom de l’hechisera (enchanteresse) dont l’étranger subit le charme. Or, les Chilenas sont deux fois femmes, quand il s’agit de pénétrer un mystère d’amour. Nous dirions volontiers que, seules au monde, leurs voisines du Pérou possèdent à un degré plus exorbitant l’antique et fatale qualité de Pandore. Souvent il arrive que, harcelé dans sa discrétion, l’enamorado répond galamment à celle qui l’interroge qu’elle seule est son hechisera. Malgré le plaisir avec lequel on accepte cette déclaration à brûle-pourpoint, on affecte de n’y pas croire, et celui qui l’a lancée est traité d’enabustero, adjectif espagnol qui désigne ce mélange de gentillesse et d’hypocrisie dont le Chérubin de Beaumarchais est la personnification poétique. On pardonne pourtant à l’embustero ses escapades ; mais, si elles se renouvellent, on découvre vite aux pieds de quelle niña il dépense ses heures. Les femmes lui font alors une petite moue pleine de charme, et laissent tomber, toute remplie des reproches amers de leur cœur, cette seule parole : Ingrato !

Le mot de señora (madame) semble au Chili exclu des conversations. Les plus vénérables matrones se font toujours appeler señorita (mademoiselle). L’appellido (nom de famille), rarement usité, ne sert qu’à désigner les absens ; on ignore même parfois le nom des étrangers. Le nom de baptême (el nombre), traduit en espagnol et précédé du substantif honorifique don, est seul employé dans le dialogue ordinaire. La soudaine métamorphose du nom cause de prime-abord un singulier étonnement, surtout si, par exemple, l’on a saint Jean pour patron. En effet, don Juan, au point de vue de la beauté, de l’élégance et de la bravoure, est devenu pour nous un type complet ; or, l’individu chétif, mal venu et laid, qui s’entend baptiser tout à coup de ce nom formidable, se trouve aussi embarrassé que si on l’affublait à l’improviste de la panoplie colossale de quelque ancien preux.

L’étranger peu familiarisé avec les habitudes des Chilenas pourrait souvent tirer de la franchise de leurs ojeadas, et d’une assez grande liberté de parole, les conclusions les plus caressantes pour son amour-propre. Tantôt c’est une fleur qu’une jeune femme lui offre, après