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gieuse, et il n’a pas moins tiré parti de ses concessions au sujet de la corruption sociale. Sur ce dernier point, il s’est attaché, dans de sérieuses considérations, à faire la part équitable du mal et du bien. Pourquoi faut-il que de cette hauteur le débat soit bientôt descendu à des incidens indignes de la tribune ? Il était permis de penser que surtout à la chambre des pairs il y avait des convenances qui ne devaient jamais être violées ; mais il y a des tempéramens excentriques, qui déjouent toutes les prévisions et se dérobent à l’observation de toutes les règles. Nous avons vu une discussion qui s’était annoncée avec gravité se rapetisser dans les plus tristes détails et dans de misérables dénonciations. C’est encore une plaie de notre temps. Depuis qu’un procès à jamais déplorable a été provoqué par des révélations imprévues, une manie fâcheuse d’enquête et de délation s’est emparée de quelques esprits. On cherche, on va furetant, on croit avoir sauvé la patrie, quand on a mis la main sur des papiers, sur des actes qui peuvent plus ou moins compromettre les personnes qu’on y voit figurer. Est-ce là vraiment le rôle que doit ambitionner la presse politique ? Il est encore plus triste de voir la tribune prêter sa publicité retentissante à de pareilles accusations. Il y avait eu jusqu’à présent une limite que l’opposition la plus vive n’avait jamais osé franchir. Tout le monde semblait d’accord, dans les chambres, pour ne pas laisser la dignité parlementaire s’amoindrir et se perdre au milieu d’agressions et de personnalités qu’osaient à peine accueillir les organes les plus ardens de la presse. Aujourd’hui de pareils scrupules ne sont plus de saison, et la tribune souffre tout comme le papier. Autrefois les orateurs étaient contenus par l’unique crainte de dire quelque chose qui ne fût pas parlementaire ; maintenant une pareille appréhension serait puérile, et l’on ne s’arrête plus à distinguer ce qui est parlementaire de ce qui ne l’est pas. Aussi, par ces déviations vraiment affligeantes, l’enceinte législative se trouve souvent changée en un prétoire de police correctionnelle. Quand des dénonciations sont lues à la tribune, comme dans une des dernières séances de la chambre des pairs, il faut bien, par des témoignages authentiques, montrer quelle estime est due à la personne du délateur. M. le garde-des-sceaux a rempli ce devoir avec mesure et fermeté. Qui pourrait l’en blâmer ? Mais qui ne déplorera la nécessité où l’on se trouve de repousser de pareilles attaques ?

On a beaucoup parlé du caractère et des résultats de la session dont la clôture définitive a été prononcée il y a peu de jours. On n’a pas assez remarqué cet esprit de licence et de dénigrement qui a imprimé aux débats parlementaires une allure inconnue jusqu’ici. Jamais les attaques personnelles n’ont été aussi persévérantes, aussi acharnées. Plus les questions étaient mesquines, plus les passions étaient violentes. Le pouvoir a été battu en brèche de tous côtés : on a attaqué ses représentans, non plus dans leur politique, dans leurs actes, mais dans leur considération. Quand les haines en viennent à de pareils excès, il y a péril non pas pour tel ou tel ministère, mais pour la société elle-même, et il y a un grand devoir à remplir : c’est de défendre l’ordre et la stabilité sociale. Qui court des dangers aujourd’hui ? Est-ce la liberté ? Il serait difficile de le prétendre en présence des débats de la tribune et de la presse. Ce qui importe vraiment au pays, c’est de mettre ses mœurs et ses idées politiques au niveau de ses institutions et de ses droits. On n’atteindra pas ce but en livrant au pouvoir des assauts furieux, mais en l’éclairant par des conseils, par des excitations