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ombre d’imitation ? Il en est, peut-on dire, de la fantaisie imitée comme d’un bon mot traduit. M. Asseline, versificateur souvent ingénieux, se flatte-t-il de réunir ces qualités ? Ne pourrait-on noter maint endroit où son cerveau paraît plus excité par la lecture que par cette inquiétude poétique impossible à méconnaître toutes les fois qu’elle anime le poète à écrire ? Ses visions, indécises, flottantes, vivent-elles d’une vie réelle, ont-elles tout le degré de clarté désirable ? Je suis loin de le penser. Au milieu de ces silhouettes esquissées d’un crayon léger, il n’en est pas une qui se détache, il n’est pas un type tant soit peu marqué, accusé, pas un trait significatif et profond. Les femmes y jouent un grand rôle, mais on dirait que l’auteur ne les a vues qu’au bal : elles sont pour lui plutôt une occasion de fatuité que d’inspiration : la nature y est à peine effleurée. M. Asseline, poète par la grace de la jeunesse et des vives impressions qu’ont faites sur lui les influences littéraires autant que les sentimens personnels, semble avoir épuisé cette ivresse juvénile où les sens et l’imagination à leur suite ont plus de part que l’ame. S’il ne veut pas qu’on appelle sa poésie du nom de cette beauté qui ne survit pas à ses vingt ans, et qu’on nomme beauté du diable, il lui reste à tremper dans la vie, dans la réflexion, son vers facile et souple, armure légère d’une pensée jusqu’ici sans force et sans profondeur.

Si je voulais caractériser d’un mot le genre de nos jeunes poètes, je dirais qu’ils font des arabesques, mot qui s’applique à merveille à des œuvres de caprice et de hasard, qui se proposent tout au plus un certain idéal d’élégance et de grace dans l’exécution. Ce mot, M. Eugène Bercioux l’a donné pour titre à son recueil. L’auteur des Arabesques est bien un de ces esprits tempérés et accommodans, où le plaisant et le sévère, la sentimentalité morale et l’air libertin, le bon sens et la fantaisie, le classique et le romantique vivent côte à côte, produit des influences les plus diverses, les plus contradictoires, miroir complaisant qui reflète tous les objets, imagination à la fois vive et indifférente, esprit facile et sans vigueur, qui se joue alentour de la réalité et cherche la poésie dans les poètes au lieu de la puiser dans son ame. Que chante au fond M. Eugène Bercioux ? Demandez plutôt ce qu’il ne chante pas. Il chante les vengeances de Dieu au jour du jugement dernier et les Willis, la nature agreste et les femmes de Paris, la vertu et le bal masqué. Il trouve sur tous ces sujets des choses assez pieuses, assez galantes, assez morales et assez gaies. Il prouve en vers, tour à tour sonores, ou pittoresques, ou dégagés, qu’il a été vivement frappé des Harmonies, des Orientales et des Contes d’Espagne et d’Italie. M. Eugène Bercioux estes jeune homme d’esprit qui n’a pas d’idées, et qui ne répugne absolument par là même à aucune idée. Sa valeur et sa faiblesse sont dans l’équilibre de plusieurs qualités dont pas une n’est assez supérieure pour dominer les autres et les entraîner à sa suite. On trouve dans les Arabesques une certaine dose d’imagination, d’esprit, parfois même de sentiment, des détails qui plaisent, des vers agréables ; mais où est l’ame ? où est la pensée ? où est la verve originale ? Il manque à M. Bercioux de n’avoir qu’une inspiration au lieu de vingt et de s’y tenir.

Chantre rétrospectif de la mélancolie, M. Jules Gauthier, dans ses Fugitives, affirme qu’il doute, qu’il rêve, qu’il aime, qu’il souffre ; il peut être de bonne foi, mais il faut l’en croire sur parole. J’en demande humblement pardon à tant de syllabes cadencées, à tant de rimes qui remplissent l’oreille : l’imitation