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toujours tous ses voiles, ces images familières à l’auteur achèvent l’idée de cette aimable et discrète inspiration qui remplit les quatre recueils dont se compose l’œuvre de M. Martin. Que manque-t-il donc à l’auteur de ces recueils pour marquer sa place parmi les poètes, pour justifier les éloges de la préface ? Une pensée nette, un sentiment fort. Quand vous aurez souri à la fraîcheur des Harmonies de la famille, ce bouton d’avril qui annonce la fleur de mai, ce prélude d’une muse de vingt ans à laquelle on n’en donnerait guère plus de seize pour la candeur, l’ingénuité adolescente et la grace un peu maladroite, n’allez pas demander à l’auteur de Louise et d’Ariel une de ces vives peintures prises dans la nature ou dans la vie morale, quelque inspiration qui jaillisse du cœur, un de ces mots du moins qui interrompent la rêverie pour élever ou attendrir l’ame. Un trait juste, heureux, mais peu pénétrant, une rêverie qui ne réussit que rarement à atteindre jusqu’à la pensée, le même horizon constamment uni, un sentiment du monde physique riant, calme, peu varié et sans grand élan, voilà ce que ne cesse de montrer M. N. Martin. Ses épanchemens contenus à l’excès se contentent d’ordinaire de quatre ou cinq petites strophes ; ses élégies sont bien souvent courtes comme des épigrammes. M. Martin partage avec la jeune école le défaut général, l’absence d’une sève vigoureuse, d’une originalité forte ; il a, de plus que la plupart de ses rivaux, la candeur et le charme.

Que dirai-je des Impressions et Souvenirs de Mme Damaris-Laurent ? Ici encore, quoique avec une infériorité marquée, la fraîcheur, la délicatesse, ne manquent pas ; mais je cherche l’originalité, l’accent, la passion, la pensée, la vie je ne trouve qu’un certain sentiment superficiel de la nature et des rêveries au lieu d’émotions. Pourtant, — qu’il nous soit permis d’exprimer cette idée, quelque défaveur qui s’attache aux femmes poètes, défaveur dont le public ne doit pas seul porter la responsabilité, — ne serait-ce pas une chose belle, touchante et j’allais dire presque naturelle, que ce rôle de trancher par l’émotion sur la situation effacée où nous voyons languir la poésie échût à une femme, loin de l’influence des écoles, par la seule impulsion d’un instinct supérieur et surtout d’une ame éprouvée ? Ce que nous demandons vainement à la jeune poésie, c’est bien moins encore l’imagination que le cœur ; or, le cœur n’est pas seulement pour les femmes une des manières d’être poète ; à vrai dire, c’est la seule. Le lyrisme, la grande description, la méditation philosophique et morale, ne sont que rarement de leur ressort : je n’en sais pas une à laquelle cette métaphysique ait réussi. C’est donc une grande duperie à elles d’aller chercher la poésie ici et là, au ciel et dans les abîmes, parmi les merveilles des mondes ou dans les secrets de la nature ; elles n’ont pas pour la rencontrer à faire un si long voyage, elles l’ont pour ainsi dire sous la main. Elles ne devraient pas s’obstiner à l’oublier : leur génie ne ressemble en rien à ce mystérieux étranger, comme on représente le génie du poète, hôte capricieux qui vient le visiter à certaines heures privilégiées, et qui, après l’avoir charmé ou exalté par d’aimables ou d’héroïques discours, le quitte ensuite, l’abandonnant à sa médiocrité et à ses misères. Moins surnaturel, mais plus fidèle, il vit avec elles, il meurt avec elles, ou plutôt il ne peut mourir, car ce génie n’est que leur ame.

On ne peut reprocher à Mme Damaris-Laurent d’avoir oublié qu’elle est femme, et l’on souscrit à cet engagement qu’elle prend d’avance avec son lecteur :