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à l’endroit de celles dont ils pourraient approcher le plus, la correction et le bon sens. Erreur préjudiciable, faux calcul de la vanité ! En arborant franchement la bannière de l’étude consciencieuse, en donnant à leurs pensées une direction saine et forte, où la raison, le travail et le savoir revendiqueraient la meilleure part, ils auraient quelque chance de se distinguer et de rendre aux lettres d’utiles et honorables services, ce qui serait plus digne et plus original, quoi qu’ils pensent, que de se traîner, arrière-garde fatiguée et près de battre en retraite, à la suite de la vieille armée romantique ; mais ces sages esprits se piquent particulièrement d’imagination et même d’excentricité ; ce qu’ils poursuivent, en général, c’est la fantaisie. Faut-il s’étonner si, cette fée capricieuse, qui fuit du moment qu’on la cherche, les laisse se consumer et se débattre contre le bon sens, leur seul diable au corps ?

Énumérer les causes de la faiblesse inhérente à la génération poétique éclose depuis 1830 serait une longue entreprise : une pareille tâche ne demanderait pas moins qu’une analyse profonde et détaillée des diverses influences sociales et littéraires qui se sont unies pour arrêter le développement des facultés poétiques. Je ne prétends ici en signaler qu’une seule, c’est une sorte de manie critique qui a gagné peu à peu la jeunesse. La discussion est plus à l’ordre du jour que l’admiration, et les jeunes gens dès le collége prennent feu sur les poétiques presque avant d’avoir lu les poètes. C’est un des traits de notre temps que les opinions y sont de beaucoup en avance sur les sentimens. On comprend que cette disposition soit plus propre à former des disputeurs que des poètes, et que, maintenant que les querelles littéraires ont épuisé leur premier feu et les écoles leurs plus grands excès, la critique mène vite à une certaine opinion ou, si l’on veut, à une certaine impression sur les choses de l’art, moyenne, équilibrée, où il entre plus de tempéramens, de mélange, d’impartialité, que d’unité et de passion. C’est cet esprit que reproduiront plus tard les écrits originaux ou qui prétendront à l’être. Dans l’absence d’impressions personnelles, n’ayant pour muse que la jeunesse ou la vanité, les critiques adolescens, devenus poètes, chercheront à combiner ou combineront tant bien que mal, sans s’en rendre compte, les différens systèmes, les influences les plus diverses ; ils ne seront plus, comme leurs prédécesseurs immédiats, lesquels se créaient une sorte d’originalité dans l’exagération des défauts, les disciples exclusifs de telle ou telle école, ou même de tel ou tel poète ; ils chercheront l’originalité dans le mélange ; ils voudront tout associer et réconcilier ; soit effort de travail, soit reflet naïf d’une mémoire vivement frappée qui reproduit toutes les couleurs avec une fidélité indifférente, ils se composeront une forme de toutes les formes, une manière de toutes les manières, semblables à ces écoliers qui mêlent dans un latin d’emprunt Cicéron et Sénèque, Virgile et Lucain, et inclinent à croire que ce style est le plus beau de tous les styles, puisqu’il en est en quelque sorte la quintessence. En un mot, ils seront avec plus ou moins d’ingénuité ou d’habileté plagiaires, compilateurs ; ils le seront le plus souvent avec peu de franchise, parce que leurs habitudes d’esprit comme critiques, et d’autre part la prétention naïve ou calculée à paraître originaux, les prémunissent contre cette imitation imprudente qui est, ils le savent, une marque d’infériorité. C’est de ce mélange d’une sagesse impuissante et de vaniteuses prétentions que naît cette foule de recueils qui sont médiocrement ce qu’ils ont résolu d’être, passionnés ou spirituels, en étant ce dont