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Standau. Les professeurs allemands, les réfugiés allemands ont enveloppé peu à peu la Suisse dans quelques mailles du vaste réseau que le parti radical étend et renoue incessamment sur l’Europe entière. Aujourd’hui même l’agitation de Berne se rattache ouvertement à l’influence de M. le professeur Ludwig Snell et de son frère Guillaume, que soutiennent leurs parens MM. Staempli, ministre des finances, et Niggeler, président tout à la fois du grand conseil de Berne et de l’association populaire helvétique. M. Ludwig Snell, malgré son laisser-aller excessif et ses habitudes quelque peu rabelaisiennes, est certainement un savant du premier ordre et un esprit élevé ; mais quand on l’a entendu causer avec les meneurs du club de l’Ours, quand on a été admis à la confidence de tout ce qui se dit dans les salons des frères Ciani et chez d’autres réfugiés italiens, il est impossible de se faire illusion sur le caractère anarchique des passions dont ce petit monde est animé. Il y a autour de MM. Ludwig et Guillaume Snell, si puissans déjà par leur clientelle dans le gouvernement de Berne, une réunion très active d’Allemands, d’Italiens, de Polonais et même de Français, qui rêvent pour l’Europe une destinée nouvelle. La tribune du club de l’Ours est le trépied d’où partent les oracles que les journaux se chargent de commenter et de répandre dans toute la Suisse.

J’ai rencontré çà et là, à Lausanne et à Genève surtout, des hommes de sens, d’un esprit fin et dont j’honore les lumières et l’expérience, qui inclinaient à croire que cette effervescence des radicaux tenait aux plus misérables motifs. Ils l’expliquaient par le désir qu’auraient les principaux meneurs de se grandir personnellement et de s’assurer, dans leur Suisse unitaire, des existences plus hautes, plus luxueuses, des fonctions plus richement rétribuées et plus influentes que celles qu’ils peuvent attendre du modeste régime cantonal. Je n’aime pas qu’on prête ainsi à ses adversaires des mobiles honteux, dont on rougirait pour soi-même ; je ne prétends pas nier cependant d’une manière absolue ce qu’il peut y avoir de fondé dans cette observation. L’infirmité du cœur humain est la même partout. Je crois néanmoins, après avoir étudié le mélange étranger qui s’est infiltré dans la démocratie suisse, je crois, de la part des radicaux, d’un très grand nombre d’entre eux, à des convictions réelles que le temps et l’expérience pourront seuls modifier ; je crois à des passions sérieuses et surtout à un but bien plus haut et plus menaçant que celui qu’un dédain trop ironique voudrait supposer. Les radicaux ne voient pas seulement, dans la création d’une Suisse unitaire, quelques avantages personnels à acquérir ; ils y cherchent, avant tout, les moyens puissans d’une action à exercer au dehors. De la Suisse s’échappent trois courans qui s’étendent en Allemagne par les petites principautés, en Italie par le Piémont et le royaume lombard, et en France par Grenoble et Lyon. La Suisse aspire à répandre