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Lorsque Dieu se retire du milieu des hommes et veut les punir, il pousse leur inquiétude à s’enquérir trop curieusement des conditions de l’ordre social et leurs passions à les changer. On ne saura jamais tout ce qu’il y a de vertige dans la raison humaine et de perversité dans l’orgueil !

Les corps francs ont été quelque temps et à diverses reprises un des moyens de coercition employés par les radicaux pour arriver plus promptement à leurs fins. Tout homme de sens, ne fût-il qu’un médiocre politique, sait ce qu’il doit penser de ces troupes sans chefs, sans règle, sans discipline, se levant et se recrutant d’elles-mêmes sans l’ordre du gouvernement, et même malgré lui. Que deviendrait l’indépendance cantonale, s’il était admis que des bandes organisées et armées hors du territoire d’un canton par des réfugiés et des agitateurs de toute espèce peuvent venir y prêter aide à une minorité contre la majorité, et y contribuer, par ce concours étranger, fortuit et brutal, au renversement de la constitution et des lois ? Battus à Lucerne par les milices et le landstourm, les corps francs ont fait peu d’honneur à la vieille et juste réputation de valeur des populations helvétiques. Leur expédition donna lieu de la part de l’Angleterre, de la France et de l’Autriche, à des notes qui avertirent vivement l’opinion publique en Suisse, et dont la diète parut comprendre alors la gravité. Depuis, la majorité diétale ayant changé par diverses causes, et surtout par les fluctuations de Saint-Gall, les corps francs sont devenus moins nécessaires aux radicaux. L’association patriotique de Lausanne a bien travaillé, dans ces derniers temps, à recommencer ces glorieuses prises d’armes ; mais les habiles préfèrent marcher au but par des voies plus sûres. MM. Ochsenbein, Schneider et Staempli n’ont-ils pas fait partie des corps francs, et n’est-ce pas la pensée politique à laquelle ces bandes prêtaient leur concours que M. Ochsenbein fait prévaloir dans la diète ? A quoi bon des corps francs quand on croit pouvoir compter sur les troupes fédérales ?

Les radicaux ne reculeront pas devant une guerre civile, si ce moyen leur paraît indispensable pour constituer comme ils l’entendent la Suisse unitaire. Ils se résigneront à ce malheur, à ce sacrifice par une pensée plus haute qu’elle ne semble au premier abord et qui menace, non pas seulement la confédération dans son existence actuelle, mais une partie de l’Europe. C’est en Allemagne que cette pensée de ruine a germé ; c’est de là qu’elle est venue. Regardez attentivement le travail du radicalisme en Suisse, vous y trouverez le souffle d’une impulsion qui agit du dehors, de l’Allemagne surtout. Il n’est personne un peu au courant de l’agitation morale de l’Europe qui puisse ignorer ce qu’ont fait à cet égard les chefs et les principaux affiliés de la jeune Allemagne : les Marr, les Weitting, les Docleke et les