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Je n’ai guère besoin de dire que le clergé est tout-puissant dans ce pays. Si quelqu’un se hasardait à mettre la main sur mon cher Unterwald, le clergé y deviendrait l’ame de la résistance. Nos intrépides vétérans de 1798 se rappellent encore jusqu’où alla, dans l’insurrection de cette époque, l’influence irrésistible du capucin Steiger.

J’avais vu à Milan, il y a cinq ans déjà, les pâtres de Schwitz, qui mènent chaque année leurs grands troupeaux au marché de la ville lombarde ; c’est avec un vrai bonheur que je les ai retrouvés en allant faire mon pèlerinage à Einsiedeln. Les religieux, qui sont des bénédictins de Sainte-Marie, étaient assemblés pour élire un supérieur à la place de celui qu’ils venaient de perdre. C’est M. l’abbé Schmidt, jeune encore, qui fut élu. Ce respectable ecclésiastique, d’un esprit vif et ferme, ne sera pas au-dessous de la tâche, peut-être pénible, que la Providence lui a préparée. Les bienfaits du couvent et le produit des pèlerinages sont à peu près les seules ressources de la population, qui vit au milieu des rochers et des sapins. L’hiver dernier, pendant la crise des subsistances, plus dure dans le canton de Schwitz que partout ailleurs, l’abbé Schmidt a consacré toute sa fortune à faire acheter du blé pour les pauvres. Autrefois, tous les religieux du couvent d’Einsiedeln avaient le titre de baron ; le temps a fait disparaître ces dénominations féodales, qui peut-être s’accordaient mal avec les règles de l’Évangile et l’humilité du prêtre chrétien ; aujourd’hui, les bénédictins de Sainte-Marie n’ont plus d’autre distinction que leur mérite personnel et leurs douces vertus. Si vous ne retrouvez pas au milieu d’eux l’agreste simplicité d’Unterwald, vous y voyez du moins la science unie à la religion. Des bénédictins ne peuvent se passer ni de presse, ni de livres, ni même de journaux ; il y a donc un journal à Einsiedeln : c’est une gazette publiée sous la direction du couvent. Il y a aussi, dans cette petite ville, sept presses mécaniques, une presse à la main et plusieurs presses lithographiques. Le couvent tient un collége où quatre-vingts élèves reçoivent une solide et bonne instruction.

On m’a montré, dans une salle décorée des portraits de M. Leu, de Schlenninger et d’O’Connell, une gravure représentant toute la famille impériale d’Autriche. En général, les influences autrichiennes se font sentir plus que toutes autres dans ce canton. Le cabinet de Vienne met ses soins à les y entretenir par la protection qu’il a toujours accordée aux religieux bénédictins. N’est-il pas important, pour le gouvernement d’un grand état, de savoir ménager, par toutes les voies, ses moyens d’action sur les autres pays ? N’est-il pas déplorable de voir souvent sacrifier à des préjugés, à des préventions sans motif, ce qui pourrait servir à étendre les influences et à fortifier un ascendant politique ? On me montra aussi au couvent d’Einsiedeln, et l’on ne manque jamais de montrer aux voyageurs et aux pèlerins capables de l’apprécier,