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Je n’ai pas la prétention d’entrer ici bien avant dans l’examen des difficultés politiques. L’expérience, la sagacité des hommes d’état, ne sont pas de trop pour étudier et résoudre un problème si compliqué, si obscur ; mais peut-être quelques impressions personnelles, simples et rapides, ne paraîtront-elles dépourvues ; en ce moment, ni d’intérêt, ni même d’une utilité relative. J’ai parcouru en voyageur, en désoeuvré, les sept cantons dont le Sonderbund se compose. Ces cantons sont, comme on sait, Lucerne, Zug, Unterwald, Schwitz, Uri, le Valais et Fribourg. Je dirai quelques mots de chacun d’entre eux.

Le canton de Lucerne, qui soulève actuellement contre lui les attaques radicales, n’a pas toujours soutenu la cause conservatrice ; il n’y a guère que cinq à six ans qu’il s’y est rattaché. Après les événemens de 1830 jusqu’en 1841, Lucerne appuyait et défendait des opinions bien différentes et dont le changement doit être attribué surtout à l’influence religieuse. C’est cette influence qui a agi sur MM. Siegwart-Muller et Bernard Meyer, aujourd’hui placés au premier rang parmi les hommes de la résistance, mais dont la position ne fut pas toujours la même. M. Siegwart-Muller est le fondateur et l’homme de pensée de l’alliance des sept cantons. Violemment attaqué par les gazettes radicales de Berne, de Soleure, d’Argovie, calomnié, insulté tous les jours dans les déclamations dont les habitués du club de l’Ours, à Berne, font leurs délices, M. Siegwart-Muller supporte ces agressions avec une grande fermeté d’esprit et une inaltérable modération. Il se passe peu de jours, m’a-t-on dit, sans qu’il reçoive des lettres anonymes pleines de menaces et d’injures ; c’est, en tout pays, l’arme des lâches contre les forts. On agissait ainsi envers M. Leu avant l’assassinat qui vint mettre fin à sa noble vie ; mais M. Siegwart-Muller et ses amis se tiennent mieux sur leurs gardes que M. Leu ne voulait l’être. Ce dernier avait fait le sacrifice de son existence ; il avait cessé, vers les derniers temps surtout, de prendre et même de souffrir qu’on prît aucune précaution pour sa sûreté personnelle. Son unique soin était de se tenir toujours prêt à paraître devant Dieu ; c’est ce qu’il disait assez publiquement avec une merveilleuse simplicité. La mort de M. Leu a rendu plus passionnée et plus forte l’opinion conservatrice dans le canton de Lucerne. Il y aura toujours une grande puissance dans l’immolation d’un homme de bien. Le sang d’une victime parle haut dans tous les cœurs.

Quand on objecte, aujourd’hui, aux habitans de ce canton que leur persévérance à garder les jésuites au milieu d’eux peut devenir une cause, un prétexte de troubles graves pour la confédération, ils répondent en rappelant l’expédition des corps francs contre leur ville et l’assassinat de M. Leu. Ils ne manquent pas aussi d’ajouter que, s’ils ont appelé- les jésuites à Lucerne, c’est là une affaire intérieure et dont les autres cantons n’ont aucun droit de se mêler. Il est certain, en effet,