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A mesure qu’on descend dans la question et qu’on essaie d’en ouvrir les replis intimes, on se convainc de plus en plus que s’il est facile de constater les déchiremens que la Suisse subit depuis plusieurs années, et dont les symptômes sont évidens, comme les crises en ont été déplorables, il est plus malaisé d’assigner les moyens d’obvier au mal ou même d’en déterminer les causes, sans confondre, dans cette appréciation, ce qui doit demeurer distinct.

Deux faits principaux dominent tout cependant : il y a en Suisse, aujourd’hui, un parti nombreux, violent, qui veut changer la constitution politique de la confédération, et, par suite, la nature des rapports qu’elle a avec l’Europe, avec les puissances garantes du traité de Vienne. Il y a un autre parti, moins nombreux peut-être, non moins résolu, essentiellement conservateur, représenté par le Sonderbund, et qui, concentré dans les petits cantons, appuyé sur la vieille foi catholique, a pris en main la défense de l’indépendance cantonale et fait appel à la parole jurée. Tout cela, je le répète, n’est ni si net, ni si distinct qu’on pourrait se le figurer envoyant les choses de loin : ainsi tel canton se trouve entraîné vers le radicalisme sans en avoir le désir, ainsi tel autre, soumis momentanément aux mêmes influences, garde l’attachement le plus vrai à ses croyances religieuses ; mais les deux masses d’opinion n’en sont pas moins en face l’une de l’autre, s’observant, s’épiant, impatientes de s’entrechoquer et d’agir. Le premier mouvement, révolutionnaire, rationaliste, tendrait à faire de la Suisse un état en quelque sorte nouveau, et à conférer à la diète des attributions, des pouvoirs qui lui furent toujours refusés. Sous prétexte de fortifier l’unité nationale en réformant le pacte fédéral, l’opinion que ce mouvement entraîne ne travaille qu’à assurer la domination d’une majorité absorbante sur des états jusqu’ici souverains et indépendans. L’autre mouvement, appuyé par l’Autriche, et dont la France parait étudier le caractère et l’attitude, soutient l’ancien droit et en réclame la conservation, au nom de principes, selon nous, évidens et incontestables.

La question des jésuites complique cette situation. Lucerne est certainement dans son droit en disant que cette question lui est propre, et qu’il n’appartient pas à d’autres cantons de vouloir s’immiscer dans une affaire intérieure ; quoi qu’il en soit, beaucoup d’hommes modérés hésitent sur cet incident. Les jésuites de Lucerne, de Fribourg et de quelques autres cantons, malgré l’extrême régularité de leur conduite et leur prudence habituelle, fournissent, par leur seule présence, un prétexte aux emportemens du radicalisme et à ses mauvais desseins. De là, tant d’agitations ; de là, tant de tentatives anarchiques ; de là, enfin, cette popularité vulgaire qui s’attache, pour le moment, dans une grande partie de la Suisse, à des noms qui méritaient de rester obscurs et à des hommes dont les passions sont peu d’accord avec leur mérite personnel.