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frère. » Certes, il n’y a point là matière à graves reproches, et ces combinaisons arbitraires n’ont rien au fond que de très innocent ; mais l’innocence même de ces moyens, et l’espèce de manie qu’ils indiquent, a quelque chose de mesquin, d’apprêté, d’artificiel, qui nous rappelle malheureusement nos futilités romantiques d’il y a vingt ans.

Quelquefois une originalité de meilleur aloi, celle de la pensée, distingue ces monologues lyriques. Dans la pièce intitulée Madhouse Cells, le poète nuance bien la folie religieuse et la monomanie jalouse. On lit aussi avec intérêt, nonobstant sa prolixité, le discours d’un prélat italien sur son lit de mort, où le tourmente la singulière ambition d’une magnifique sépulture. Il explique à ses héritiers pourquoi il tient tant à ces splendeurs posthumes. De tout temps, une rivalité d’orgueil exista, dit-il, entre lui et un de ses compatriotes. Ils aimèrent la même femme, ils poursuivirent la même carrière, ils reposeront dans le même temple. Or, l’évêque a toujours eu le dessus. Jeune homme, il épousa celle qu’ils aimaient ; devenu veuf, il a devancé son émule dans les honneurs ecclésiastiques, et maintenant, maintenant encore, il le veut éclipser par les décorations de son mausolée[1]. Cette donnée, véritablement, n’est pas commune, et dérive d’une observation assez profonde, d’un coup d’œil assez juste jeté sur les étranges passions qui dominent l’homme. Voici une pièce, dans le même genre, dont nous essaierons de rendre l’aisance familière et l’horreur secrète. Un grand seigneur italien promène dans la galerie de son palais un officieux négociateur, venu pour conclure certaine affaire importante :


« Vous voyez, peinte sur ce mur, ma défunte duchesse. C’est une image vivante, un ouvrage vraiment merveilleux. Fra Pandolfo y consacra toute une journée ses mains actives, et voilà une figure immortelle. — Asseyez-vous donc, et regardez tout à votre aise. — J’ai voulu, sur-le-champ, vous nommer Fra Pandolfo, car les étrangers comme vous ne contemplent jamais cette physionomie frappante, ce regard plein d’ardeur et de passion, sans se tourner aussitôt vers moi ; — moi seul écarte le rideau qui cache cette peinture, — et tous me demanderaient, s’ils l’osaient, comment ce regard singulier se trouve là… Vous ne serez donc pas le premier à m’interroger ainsi, et je veux vous répondre sans attendre vos questions.

« Ce n’était point la présence seule de son époux qui animait ainsi d’une lueur joyeuse le pâle visage de la duchesse. Que Fra Pandolfo vînt à dire : « Le manteau de madame cache un peu trop ses belles mains, » ou bien encore : « Le « pinceau ne saurait rendre ces roses, reflets du sang, qui viennent mourir sur sa poitrine ; » certes, elle ne prenait point ces paroles pour autre chose qu’un éloge courtois, mais elle n’en rougissait pas moins de plaisir. Elle avait un coeur… comment exprimer ceci ?… trop facilement ému de joie, et qu’un rien faisait trop tôt palpiter. Elle aimait tout ce que rencontraient ses yeux, et ses yeux erraient

  1. Bells and Pomegranates.-The tomb at St. Praxed’s.