Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/645

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’attrait d’un logogriphe en six chants. On avait lu vingt fois, plus clairement et plus agréablement écrite, l’histoire de cet enfant royal que l’on élève sous un faux nom pour le dérober aux dangers de sa naissance ; heureux tant qu’il végète dans une favorable obscurité, misérable et frappé de mort quand les événemens l’arrachent à son humble fortune, à ses rêves de poète, pour le mêler aux terribles conflits de l’ambition politique. Il n’y avait ni dans ce sujet trivial, ni dans la bizarrerie des moyens employés pour le rajeunir, de quoi balancer les fatigues d’une lecture pénible. Ce poème n’obtint d’autre succès que de rallier autour de Browning une petite église de novateurs à tout prix, lesquels s’obstinèrent à voir en lui un descendant direct de Shakespeare, méconnu pour un temps, mais qu’il faudrait bien un jour, bon gré, malgré, accepter pour tel.

Leurs conseils sans doute agirent puissamment sur l’imagination du poète et lui donnèrent le change sur sa véritable vocation. L’auteur de Sordello tenta presque immédiatement le théâtre, où, plus que partout ailleurs, il devait échouer. Le théâtre, en effet, veut avant tout des conceptions claires, une imagination maîtresse d’elle-même, un esprit symétrique et méthodique. Autant le lecteur est patient, autant il met de zèle et d’humilité à suivre le poète partout où celui-ci le veut conduire, — dût-il en fin de compte juger qu’on lui a imposé des efforts inutiles et mal payés, — autant le spectateur va droit au fait et veut être immédiatement au courant de ce qui se passe. Avec lui, point de longues ambages, point de vaines et capricieuses excursions. Armé d’une logique bornée, mais rigoureuse, il n’admet de mystère que la dose voulue pour entretenir jusqu’au bout la curiosité nécessaire. Toute autre incertitude le décourage, l’impatiente et l’irrite. Les recherches du style lui doivent être cachées, et il est un art tout particulier de rendre supportables les plus belles effusions lyriques, dangereuses pour peu qu’on les prodigue. Or, Browning, on peut bien s’en douter déjà, n’était pas l’homme prudent et réfléchi que la scène demande. Confiant, osé, persuadé, à tort ou à raison, que son génie et son obstination prévaudraient sur toutes les résistances, il se crut probablement appelé à régénérer l’art dramatique, et ce ne fut pas trop d’une double épreuve pour lui ôter cette illusion.

Des deux pièces qu’il a fait représenter, — Strafford, tragédie historique, jouée à Covent-Garden, et A Blot in the Scutcheon (une Tache.sur l’Écusson), drame romanesque joué à Drury-Lane, — la dernière surtout mérite de nous arrêter. C’est l’histoire d’une jeune fille noble, Mildred Tresham, restée après la mort de ses parens sous la tutelle de son frère Thorold. Un instant de faiblesse a fait d’elle la maîtresse du comte Mertoun ; mais cette faute est secrète, et le déshonneur auquel les Tresham sont exposés si elle éclate, la tache qui souillerait alors leur