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démonstration, la naissance d’une vérité : vous remonterez aisément à cette source intime où se cache la lumière amoncelée, que le hasard en extrait rayon par rayon. Le hasard, dis-je, car si nous ignorons encore d’où ces rayons viennent, de même nous méconnaissons ce qui leur ouvre les portes du cachot obscur. Bien des hommes ont vieilli parmi les livres, et sont morts endurcis dans leur ignorance aveugle, dont l’insouciante jeunesse avait promis ce que n’ont pas tenu leurs labeurs presque séculaires. Et tout au contraire, il est arrivé souvent à tel promeneur d’automne, aussi libre d’esprit que les insectes bourdonnant au soleil, d’émettre une sublime vérité, — produit mystérieux, spontané, tel que le promontoire de nuages sorti tout à coup des vapeurs invisibles[1]. »

Ce passage est doublement remarquable en ce qu’il n’indique pas seulement l’ordre de pensées où nous transporte Paracelsus, mais semble faire partie du programme poétique de Browning. Lui aussi, contempteur hardi du passé, chercheur de formes nouvelles, lui aussi se fiera surtout à l’inspiration intérieure et dédaignera de la soumettre aux préceptes d’une rhétorique surannée. Bien décidé à se passer de lecteurs s’il n’en trouve pas dont la croyance en lui soit complète, il ne court pas au-devant de l’admiration, il ne brigue pas les suffrages, et, plutôt que de courtiser les vivans, il évoquera autour de lui un auditoire de spectres. C’est en effet par une évocation de fantômes qu’il débute, lorsque, mécontent peut-être de l’accueil fait à Paracelsus, il écrit son second poème intitulé Sordello :

« Quiconque le voudra bien peut entendre raconter l’histoire de Sordello. Histoire ou conte, qu’importe ? Qui me croit sur parole verra cet homme suivre sa fortune, tout comme moi, jusqu’au bout. Vous n’avez pour cela qu’à me croire. Me croirez-vous ?

« Voici Vérone. Mais, avant tout, laissez-moi vous avertir que, libre dans mon choix, je n’aurais pas pris un rôle dans cette histoire qui pouvait être si bien contée par le héros lui-même, l’auteur s’effaçant de bonne grace et laissant à chaque auditeur le soin de compléter l’œuvre à son gré. En effet, si fier que je puisse être en voyant, au fond de ses vastes abîmes, le passé diviser ses flots écumeux pour laisser surnager, de tant de mémoires englouties, celle-ci, que ma prédilection aura sauvée, cependant, après ce premier triomphe, je prendrai grand plaisir à suivre, comme le plus inaverti des spectateurs, et sans savoir un mot de plus que vous, les phases de ce récit merveilleux. Il sied pourtant à quiconque risque un sujet nouveau, et crée de toutes pièces des hommes d’une race inconnue, de les produire lui-même, après avoir pris soin de crayonner le nom de chaque personnage à la bordure du costume qu’il porte, et de se tenir à côté d’eux, l’habit bariolé sur le dos, la longue baguette à la main, en bon et fidèle exhibiteur.

« Donc, cette fois, me voici vous faisant face, amis appelés des quatre coins du monde, braves gens tombés du ciel ou vomis par l’enfer pour écouter l’histoire que je me propose de dire. Et, convenez-en, les poètes ont beau jeu à manier

  1. I understand these fond fears just express’d, etc. (Paracelsus, p. 36 et 37.)