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tunique rouge, son épée Azoth dans le pommeau de laquelle il cachait un démon familier, son ivrognerie bien constatée, ses fanfaronnades, ses dérèglemens, résiste, ce semble, à l’idéalisation. Tout autre philosophe de la même époque, — Giordano Bruno, par exemple, Campanella, Jean Reuchlin ou Agrippa de Nettersheim, — se prêtait mieux à la singulière combinaison de Browning. Leur préférer un homme que le martyre a épargné, qui, après avoir capté l’admiration de la foule par de véritables tours de passe-passe, a mérité qu’elle désertât la chaire où il montait la tête alourdie par le vin, c’est affecter tout d’abord, ce nous semble, un trop complet dédain pour l’histoire ; c’est tenir trop peu de compte de ce que chacun sait, de ce que l’on sait soi-même, et se priver ainsi de la confiance qu’inspirent au lecteur un choix bien fait, une conception saine, une vue nette et claire du sujet que l’on veut traiter.

A part ce défaut capital, et en ne tenant compte du récit que comme d’un mythe à plaisir inventé, le personnage de Paracelse, moins sympathique, moins vrai que celui de Faust, est une création assez imposante. L’enthousiasme, le dédain, les anxiétés du doute, les joies de la certitude, le sentiment de la puissance intellectuelle, le désespoir qu’un grand esprit doit ressentir quand il se reconnaît au-dessous de la haute mission qu’il s’était donnée, voilà les péripéties de ce monodrame singulier, ses élémens de variété, ses moyens de soutenir l’intérêt. Or, il n’appartient qu’à un vrai talent de dissimuler le défaut complet d’action, l’uniformité du thème, l’inévitable langueur de ces divagations égoïstes. Paracelse, traitant avec toute la rigueur didactique du professorat les sujets les plus ardus de la métaphysique, ne se fait pardonner l’aridité de ses définitions que par une extrême vigueur de style, et en multipliant les plus riches nuances sur la trame de ses interminables raisonnemens. Souvent même cette verve d’argumentation s’élève à une véritable éloquence, comme dans le discours que tient Paracelse à son confident Festus et à Michal, la fiancée de cet ami dévoué, lorsqu’ils veulent le dissuader de quitter Wurtzbourg. Tous deux l’ont accusé de mépriser le passé, de trop compter sur lui-même et sur sa force isolée de tout enseignement

Je comprends vos tendres craintes ; mais ce n’est point à la légère que j’ai cessé de croire à ces trésors si haut prisés par vous, aux travaux, aux préceptes de l’antique sagesse. La vérité est en nous. Quoi que vous en puissiez croire, elle ne nous vient pas du dehors ; il est un centre dans chacun de nous où elle séjourne splendide et complète. Notre chair grossière enserre de murailles massives et redoublées cette perception sincère et parfaite qui est le vrai. L’erreur est le résultat de ces liens de la matière qui la surchargent et l’aveuglent ; savoir consiste plutôt à dégager, en lui ménageant une issue, cette lumière emprisonnée qu’à donner accès aux prétendues clartés du dehors. Guettez de près la