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à cette boucherie, qui s’enfuit vers le Caire et alla avertir Abou-Arous ; mais, quand les gardes arrivèrent au lieu du meurtre, ils ne trouvèrent plus que des vêtemens ensanglantés et l’âne gris du calife, nommé Kamur, qui avait les jarrets coupés.


V. – LE DEPART

L’histoire du calife Hakem était terminée.

Le cheik s’arrêta et se mit à réfléchir profondément. J’étais ému moi-même au récit de cette passion, moins douloureuse sans doute que celle du Golgotha, mais dont j’avais vu récemment le théâtre, ayant gravi souvent, pendant mon séjour au Caire, ce Mokattam, qui a conservé les ruines de l’observatoire de Hakem. Je me disais que, dieu ou homme, ce calife Hakem, si calomnié par les historiens cophtes et musulmans, avait voulu sans doute amener le règne de la raison et de la justice ; je voyais sous un nouveau jour tous les événemens rapportés par El-Macin, par Makrisi, par Novaïri et autres auteurs que j’avais lus au Caire, et je déplorais ce destin qui condamne les prophètes, les réformateurs, les messies, quels qu’ils soient, à la mort violente, et plus tard à l’ingratitude humaine.

— Mais vous ne m’avez pas dit, ils-je observer au cheik, par quels ennemis le meurtre de Hakem avait été ordonné ?

— Vous avez lu les historiens, me dit-il ; ne savez-vous pas que Yousouf, fils de Dawas, se trouvant au rendez-vous fixé à la fontaine des Amans, y rencontra des esclaves qui le conduisirent dans une maison où l’attendait la sultane Sétalmulc, qui s’y était rendue déguisée ; qu’elle le fit consentir à tuer Hakem, lui disant que ce dernier voulait la faire mourir, et lui promit de l’épouser ensuite ? Elle prononça en finissant ces paroles conservées par l’histoire : « Rendez-vous sur la montagne, il y viendra sans faute et y restera seul, ne gardant avec lui que l’homme qui lui sert de valet. Il entrera dans la vallée, courez alors sur lui et tuez-le ; tuez aussi le valet et le jeune esclave, s’il est avec lui. » Elle lui donna un de ces poignards dont la pointe a forme de lance, et que l’on nomme yafours, et arma aussi les deux esclaves, qui avaient ordre de le seconder et de le tuer, s’il manquait à son serment. Ce fut seulement après avoir porté le premier coup au calife, que Yousouf le reconnut pour le compagnon de ses courses nocturnes, et se tourna contre les deux esclaves, ayant dès-lors horreur de son action ; mais il tomba à son tour, frappé par eux.

— Et que devinrent les deux cadavres, qui, selon l’histoire, ont disparu, puisqu’on ne retrouva que l’âne et les sept tuniques de Hakem, dont les boutons n’avaient point été défaits ?