Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/629

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soleils en diamans, des masses de camphre taillées en melon et entourées d’une résille de filigrane, des tentes de velours et de brocart avec leurs mâts d’argent massif ; puis dans des citernes, jetés comme du grain dans un silo, des monceaux de pièces d’or et d’argent, des tas de perles et d’escarboucles.

Hakem, qui avait écouté attentivement cette description, dit à son ami Yousouf :

— Sais-tu, frère, que ce que tu as vu là, ce sont les trésors d’Haaroun-al-Raschild enlevés par les Fatimites, et qui ne peuvent se trouver que dans le palais du calife ?

— Je l’ignorais ; mais déjà, à la beauté et à la richesse de mon inconnue, j’avais deviné qu’elle devait être du plus haut rang : que sais-je ? peut-être une parente du grand-vizir, la femme ou la fille d’un puissant seigneur ! Mais qu’avais-je besoin d’apprendre son nom ? Elle m’aimait, n’était-ce pas assez ? Hier, lorsque j’arrivai au lieu ordinaire du rendez-vous, je trouvai des esclaves qui me baignèrent, me parfumèrent et me revêtirent d’habits magnifiques et tels que le calife Hakem lui-même ne pourrait en porter de plus splendides. Le jardin était illuminé, et tout avait un air de fête comme si une noce s’apprêtait. Celle que j’aime me permit de prendre place à ses côtés sur le divan, et laissa tomber sa main dans la mienne en me lançant un regard chargé de langueur et de volupté. Tout à coup elle pâlit comme si une apparition funeste, une vision sombre, perceptible pour elle seule, fût venue faire tache dans la fête. Elle congédia les esclaves d’un geste, et me dit d’une voix haletante : « Je suis perdue ! Derrière le rideau de la porte, j’ai vu briller les prunelles d’azur qui ne pardonnent pas. M’aimes-tu assez pour mourir ? » Je l’assurai de mon dévouement sans bornes. « Il faut, continua-t-elle, que tu n’aies jamais existé, que ton passage sur la terre ne laisse aucune trace, que tu sois anéanti, que ton corps soit divisé en parcelles impalpables et qu’on ne puisse retrouver un atome de toi ; autrement, celui dont je dépends saurait inventer pour moi des supplices à épouvanter la méchanceté des dives, à faire frissonner d’épouvante les damnés au fond de l’enfer. Suis ce nègre, il disposera de ta vie comme il convient. »

En dehors de la poterne, le nègre me fit mettre à genoux comme pour me trancher la tête ; il balança deux ou trois fois sa lame ; puis, voyant ma fermeté, il me dit que tout cela n’était qu’un jeu, une épreuve, et que la princesse avait voulu savoir si j’étais réellement aussi brave et aussi dévoué que je le prétendais. « Aie soin de te trouver demain au Caire vers le soir, à la fontaine des Amans, et un nouveau rendez-vous te sera assigné, » ajouta-t-il avant de rentrer dans le jardin.

Après tous ces éclaircissemens, Hakem ne pouvait plus douter des circonstances