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d’Argévan, appelait à lui et ralliait dans l’air les démons incarnés jusque-là dans les corps de ses partisans. Le combat commencé sur terre se continuait dans l’espace ; les phalanges de ces éternels ennemis se reformaient et luttaient encore avec les forces des élémens. C’est à ce propos qu’un poète arabe a dit. :

« Égypte ! Égypte ! tu les connais, ces luttes sombres des bons et des mauvais génies, quand Typhon, à l’haleine étouffante, absorbe l’air et la lumière, quand la peste décime tes populations laborieuses, quand le Nil diminue ses inondations annuelles, quand les sauterelles en épais nuages dévorent dans un jour toute la verdure des champs.

« Ce n’est donc pas assez que l’enfer agisse par ces redoutables fléaux, il peut aussi peupler la terre d’ames cruelles et cupides, qui, sous la forme humaine, cachent la nature perverse des chakals et des serpens ! »

Cependant, quand arriva le quatrième jour, la ville étant à moitié brûlée, les chériffs se rassemblèrent dans les mosquées levant en l’air les Alcorans et s’écriant : « O Hakem ! ô Allah ! » Mais leur cœur ne s’unissait pas à leur prière. Le vieillard qui avait déjà salué dans Hakem la divinité se présenta devant ce prince et lui dit : « Seigneur, c’est assez ; arrête la destruction au nom de ton aïeul Moëzzeldin. » Hakem voulut questionner cet étrange personnage qui n’apparaissait qu’à des heures sinistres ; mais le vieillard avait disparu déjà dans la mêlée des assistans.

Hakem prit sa monture ordinaire, un âne gris, et se mit à parcourir la ville, semant des paroles de réconciliation et de clémence. C’est à dater de ce moment qu’il réforma les édits sévères prononcés contre les chrétiens et les juifs, et dispensa les premiers de porter sur les épaules une lourde croix de bois, les autres de porter au col un billot. Par une tolérance égale envers tous les cultes, il voulait amener les esprits à accepter peu à peu une doctrine nouvelle. Des lieux de conférence furent établis, notamment dans un édifice qu’on appela maison de la sagesse, et plusieurs docteurs commencèrent à soutenir publiquement la divinité de Hakem. Toutefois l’esprit humain est tellement rebelle aux croyances que le temps n’a pas consacrées, qu’on ne put inscrire au nombre des fidèles qu’environ trente mille habitans du Caire. Il y eut un nommé Almoschadjar qui dit aux sectateurs de Hakem : « Celui que vous invoquez à la place de Dieu ne pourrait créer une mouche, ni empêcher une mouche de l’inquiéter. » Le calife, instruit de ces paroles, lui fit donner cent pièces d’or, pour preuve qu’il ne voulait pas forcer les consciences. D’autres disaient : « Ils ont été plusieurs dans la famille des Fatimites atteints de cette illusion. C’est ainsi que le grand-père de Hakem, Moëzzeldin, se cachait pendant plusieurs jours et disait avoir été enlevé au ciel ; plus tard, il s’est retiré